"La fille qui brûle" Claire Messud - éd Folio

Deux amies, Cassie et Julia sont voisines et se connaissent depuis l'enfance. Fille unique l'une et l'autre, elles sont devenues sœurs de coeur, se complétant dans leurs différences, l'une d'une blondeur diaphane, l'autre brune et bouclée, seul trait commun : deux paires d'yeux bleus dont elles sont très fières. On comprend dès les premières lignes que le temps de l'amitié est révolu, deux années ont passé depuis le départ des Burns, la famille de Cassie. Ce très beau roman sur les liens indéfectibles qui se créent parfois durant l'enfance et qui ne devraient jamais changer, raconte ce sentiment fusionnel qui cherche à gommer toutes les différences et qui manque désormais cruellement à Julia, la narratrice. Une analyse très juste de ces territoires où il n'est question que de partage, l'une étant le miroir de l'autre. Arrive l'adolescence, le social et le culturel viennent bouleverser les sentiments inaltérables de l'enfance. Cassie vit seule avec sa mère qui est infirmière à domicile. Les parents de Julia habite une belle demeure, son père est dentiste, sa mère journaliste free-lance. Julia reçoit une éducation ouverte sur le monde, elle sait qu'elle pourra se réaliser et que ses parents l'y aideront. Cassie se détache de Julia en classe de 5ème, elle se lie d'amitié avec une nouvelle élève très délurée et devient une fille « cool ». Julia reste sur la touche et subit avec violence et amertume cet abandon. La vie de Cassie va prendre encore un autre virage, avec l'arrivée d'un beau-père qui s'interpose entre elle et sa mère. Les crises se succèdent et Cassie déserte le domicile. Julia observe à distance cet effondrement et la détresse de son ancienne amie sans pouvoir lui apporter son soutien. Les liens ont été rompus. Claire Messus analyse avec subtilité ce drame de l'enfance, la ténacité des liens et la profondeur de la blessure qui demeurent malgré le temps.

"Une histoire des loups" Emily Fridlund éd Gallmeister

Madeline, une adolescente de 14 ans vit avec ses parents au bord d'un lac, dans le Minnesota, dans une maison vétuste où ils ont échoué après la dislocation de la communauté dont ils faisaient partie. Madeline est une adolescente solitaire, livrée à elle même. Quand s'installe de l'autre côté du lac un couple avec un jeune enfant, elle passe beaucoup de temps à les observer aux jumelles. Cette famille semble très différente de la sienne. Très rapidement elle fait la connaissance de Patra et devient la baby-sitter de Paul. L'adolescente pénètre petit à petit dans ce foyer qui la fascine sans réussir à saisir ce qui pourrait se cacher derrière cette fragile harmonie. Le drame va se nouer autour de l'éducation de Paul et de l'influence que Léo tient à avoir sur son fils. C'est un récit habilement mené, le suspense est préservé jusqu'aux dernières pages du livre qui pose le problème délicat de la responsabilité du témoin.

"Des jours sans fin" Sebastian Barry - éd Folio

Pour certains hommes, la vie est une succession de combats. Thomas McNutly a quitté l'Irlande, où la Grande Famine a décimé sa famille. Il traverse l'Atlantique, il est âgé de 12 ans et doit se débrouiller pour survivre. Sa rencontre avec John Cole, tout juste plus âgé que lui, sera déterminante. Tour à tour, ils seront danseurs de saloons, chasseurs de bisons et d'indiens dans les grandes plaines de l'ouest, soldats du côté de l'Union en pleine guerre de sécession. Ce récit plein de cris, de fureur et de violence parle des corps, livrés à la faim, au froid ou à la terreur et de ces moments de grâce qui donnent parfois l'impression que le jour sera sans fin : l'éclat d'un rire, un paysage, le rythme d'un galop... et l'amour indéfectible que se porte ces deux hommes. Récit d'une âpre beauté qui interroge sur ce paradis américain obtenu au prix des massacres . Thomas et John sont des héros ordinaires qui n'élèveront pas la voix, ils serrent les dents, exécutent les ordres et tentent de préserver, dans ce marasme, leur part d'humanité. Une écriture épurée, un récit à la première personne dans lequel Thomas décrit la société américaine de 1850 dans sa quotidienneté, il s'agit pour lui de trouver un toit, rester debout, éviter les coups et tenter de comprendre ce monde. Un récit puissant.

"Personne ne disparaît" Catherine Lacey - éd Babel

C'est un premier roman et c'est absolument bouleversant. Un livre qui ne ressemble à aucun autre. Il se lit dans un souffle, en une nuit, dans l'émotion, le sourire et le désarroi car ce livre sonne juste et résonne fort. Une New-Yorkaise de 28 ans, plaque tout, mari, travail... pour partir en Nouvelle-Zélande. Un coup de tête, une forte dépression, une profonde interrogation sur sa vie... Plus que tout cela, ce voyage est un vertigineux périple intérieur qui prend la forme d'un renoncement au monde. Ce livre parle de la perte de soi et du divorce d'avec soi-même. Ce sujet a rarement été traité avec une telle intelligence, une telle profondeur. Car il s'agit de plonger, toujours plus loin, avec Elyria, dans cette perte, cette indifférence à soi-même, qui s'apparente à un suicide social mais qui est plus que cela, un abandon. Elle parle de son ennemi intérieur, celui qui revient quand elle n'arrive plus à faire le tri dans les choix, les décisions à prendre, les avis à donner pour se comporter comme « un adulte responsable », elle le nomme « Le Yack ». Catherine Lacey parvient à exprimer l'intime, l'âme et le corps, en soulevant toutes les interrogations possibles, dans un refus têtu de ne plier devant aucune concession. L'extrême originalité de ce récit tient beaucoup à sa forme où se mêlent à la fois, un puissant décalage, une audace surprenante à parler sans retenue de ce que généralement on préfère taire. 

"Les invisibles" Roy Jacobsen – éd Folio

«  Les invisibles » nous transporte au début du 20ème siècle sur une île minuscule nichée dans un archipel situé au nord de la Norvège. L'île porte le nom de la famille Barroy qui l'habite depuis des générations. Pêcheurs et éleveurs, ils tirent toutes les ressources possibles de ce petit bout de terre. La vie y est minutieusement décrite par Ingrid, qui est âgée de trois ans au début du récit. C'est par son regard que le lecteur découvre, observe, écoute la vie se dérouler dans cette île, au sein de cette famille et au rythme des saisons. Leur survie dépend de leur capacité à composer avec l'hostilité des éléments qui font partie intégrante de leur vie et qu'ils accueillent avec fatalisme, humilité et une ingéniosité effarante. Cet attachement fusionnel à ce lieu nous interroge sur notre façon de regarder et de ressentir notre environnement. Un récit puissant, magnifique et envoûtant. Tout l'immense talent de Roy Jacobsen est de nous rendre visibles ces « invisibles ».

"Tiens ferme ta couronne" Yannick Haenel - éd Folio

Le roman commence par la phrase «A cette époque j'étais fou». Le narrateur donne le ton, il vit depuis plusieurs mois reclus dans un studio parisien, relit Moby Dick et se passe en boucle «Voyage au bout de l'enfer» et « Apocalypse now». Il flirte avec des états limites qui le laissent parfois sans prise sur les événements.  Auteur de plusieurs romans, il a écrit un scenario de 700 pages sur l'écrivain Herman Melville. Aucun producteur ne veut financer ce projet qui a l'ambition de nous dévoiler l'esprit du créateur de «Moby Dick». Un seul cinéaste serait à ses yeux capable de réaliser ce projet, Michael Cimino. Ce dernier a disparu des radars depuis l'échec commercial de « La porte du paradis». Qu'à cela ne  tienne, notre narrateur part à sa recherche et obtient une entrevue avec lui à New York. Il passera aussi une soirée chez Bofinger, avec Isabelle Huppert, qui travailla avec M. Cimino pour ce film maudit. Le roman enchaîne des scènes aussi improbables que burlesques et le narrateur ne s'économise pas une seconde dans ses multiples aventures. C'est un récit fascinant qui se permet des écarts insensés sans pour autant perdre le fil d'une quête obsessionnelle: retrouver la trace de la beauté et de la pureté même dans des contextes d'extrême violence, comme ses maîtres, le narrateur se demande comment  «rester disponible aux manifestations fragiles de la beauté pour se sauver de l'horreur ». Yannick Haenel nous offre un roman exceptionnel, très ambitieux et particulièrement réussi.

"Summer" Monica Sabolo - éd Le Livre de Poche

Lors d'un pique-nique au bord de lac Leman, Summer Wassner, dix-neuf ans disparaît. Elle laisse une dernière image d'elle, une jeune fille blonde courant dans les fougères, short en jean, jambes nues. Vingt-cinq après, son frère Benjamin est submergé par la souvenir, sa soeur surgit dans ses rêves, spectrale et gracieuse, et réveille les secrets d'une famille figée dans le silence et les apparences. Le récit pose la question de la survie avec les fantômes. Un livre magnétique entre le thriller et le récit poétique.

 

 

"Le dimanche des mères" Graham Swift - éd Folio

Dimanche 30 mars 1924 en Angleterre. Jour de congé exceptionnel pour les domestiques des maisons de l’aristocratie dé- clinante car ils ont le droit d’aller voir leur mère. Jane, orpheline, n’a pas de famille mais entretient une liaison avec Paul, jeune homme de bonne famille. Celui-ci l’invite à venir faire l’amour pour la première et dernière fois avant de se marier avec une jeune fille de son milieu. Puis il la laisse seule dans la maison vide. Tout le récit se concentre sur cette journée, décisive dans la vie de Jane. Ce livre, concis et à la construction savante, est le roman de l’émancipation d’une femme par la lecture et l’écriture. Lecture favorisée par la famille qui emploie Jane et écriture dont la source se trouve peut-être dans le souvenir de ce dimanche des mères qui restera à jamais un secret pour Jane devenue romancière.  MD  

"Un livre de raison" Joan Didion - éd Le Livre de Poche

Grace, vit à Boca Grande, une république imaginaire d'Amérique centrale, entre jungle et cité futuriste, gouvernée par une famille de dictateurs. Elle a été l'épouse d'un membre de ce clan, désormais veuve, elle administre le domaine dont elle a hérité. Survient dans ce paysage sans contours ni reliefs, une américaine, « la norteamericana » : Charlotte Douglas. Silhouette élégante et évanescente qui arpente les rues de la capitale et devient une enigme dans cette société fermée où tout le monde se connaît. Grace rencontre Charlotte, cette dernière semble très confuse et ne parvient pas à expliquer les raisons de son séjour dans ce petit pays. Elle ment, affabule, mélange les époques et révèle d'elle une série d'anecdotes décousues. Ses ex-maris sont omniprésents dans ses récits, sa fille dont elle garde un souvenir angélique semble avoir très mal tourné. Cette femme ne se soucie plus d'elle même ni de son avenir, sa seule raison d'être : demeurer à Boca Grande pour attendre sa fille qui selon elle passera peut-être par là un jour. Charlotte Douglas est morte quand s'ouvre le récit, la narratrice. Grace a prévenu en préambule qu'elle a décidé de donner une existence littéraire à la vie de Charlotte. C'est le projet conjoint de la narratrice et de l'auteur. Témoin et confidente la narratrice tente de reconstituer les éléments de cette vie en lambeau, de faire la part entre le vrai et le faux mais de respecter la façon dont les informations lui sont parvenues. De cette manière Jaon Didion donne accès à l'extrême perdition dans laquelle se trouvait Charlotte. Magnifique portrait de femme en souffrance dont l'esprit s'est employé à fuir une réalité désespérante. Ce livre composé d'ellipses, de contournements, de mystères et de faits contradictoires est une remarquable enquête psychologique sur une femme continuellement au bord de l'abîme. Sa chute survient dans un pays menaçant, où règne une perpétuelle incertitude qui rend le destin de Charlotte plus tragique encore.

 

"Ma reine" Jean-Baptsite Andrea - éd Folio

Jean-Baptiste Andrea célèbre l'enfance à travers la voix et la pensée d'un garçon de 12 ans qui souffre de troubles psychiques qui l'isolent et brouillent sa perception de la réalité. Depuis que son père lui a offert un blouson publicitaire de la marque Shell, il se fait appeler Shell. Il vit dans une vallée de haute-provence avec ses parents qui tiennent une station service. Quand il comprend qu'il sera bientôt placé dans un institut spécialisé, il fugue dans la montagne et va vivre tout un été, livré à lui même. Il rencontre Viviane, elle apparaît comme un enchantement sur son chemin. Elle devient une compagne de jeu qui impose ses règles avec détermination. Elle sera sa « Reine » et à ce titre, Shell ne pourra rien lui refuser et elle pourra tout lui demander. JB Andrea manie avec virtuosité les codes de la fable et du conte sans jamais tomber dans la mièvrerie. Shell est un héros lunaire et un adolescent subjugué par la beauté de la nature, les parfums du maquis, les métamorphoses de son jeune corps et les idées fantasques de sa Reine. Un roman exceptionnel qui laisse des images saisissantes.

"L'art de perdre" Alice Zeniter- éd J'ai lu

L'Algérie dont est originaire sa famille paternelle n'a longtemps été pour Naïma qu'une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par des questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui ne lui a jamais été racontée ? Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu'elle n'ait pu lui demander pourquoi l'Histoire avait fait de lui un "harki". Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être lui répondre mais pas dans une langue autre que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l'été 62 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l'Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ? Dans une fresque romanesque puissante et audacieuse, Alice Zeniter raconte le destin, entre la France et l'Algérie des générations successives d'une famille prisonnière d'un passé tenace. Mais ce livre est aussi un grand roman sur la liberté d'être soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes, sociales ou politiques. Cette vaste fresque historique, magistralement menée, nous plonge dans la tragédie que vécurent ceux que l'on appela les "harkis". Poursuivis comme traitres par le FLN, dépossédés de leurs terres, massacrés pour certains, ceux qui ont réussi à fuir en France, lors de l'indépendance de l'Algérie, se sont retrouvés parqués dans des camps de refugiés insalubres, pendant des années. Abandonnés par l'ancien pouvoir colonial qu'ils avaient servi, certains ont dû se demander s'ils avaient fait le bon choix. Ce questionnement s'invite tout au long de ce récit car nul ne sait ce qu'il adviendra quand des choix cruciaux s'imposent et nul ne peut imaginer les conséquences que représentent certaines décisions irrémédiables pour soi-même et les générations à venir.

Prochainement

 

Jeudi 25 avril 

 leconvoi

Rencontre avec Beata Umubyeyi Mairesse

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.Treize ans après, elle entre en contact avec l'équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie et l'Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Nourri de réflexions sur l'acte de témoigner et la valeur des traces, "Le convoi" offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

 

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