"Article 353 du code pénal" Tanguy Viel - éd Minuit Double

Les 174 pages du récit se déroulent en huis-clos. Martial Kermeur a été arrêté et convoqué chez le juge à qui il va devoir expliquer pourquoi il a noyé Antoine Lazenec. Licencié des chantiers navals de l'arsenal de Brest, Kermeur pensait avoir fait le bon choix en confiant toutes ses économies à Lazenac, un promoteur immobilier sans vergogne. Homme plutôt passif, il a mis un certain temps à comprendre qu'il ne verrait jamais la résidence se construire. Kermeur raconte son histoire, s'interrompt lui-même pour prendre le temps de réfléchir, de regarder ce qui s'est joué. Plus sombre et plus grave que d'autres récits, on retrouve cependant cette touche grinçante, ironique et comique dans la manière de raconter.

 

"La Cheffe, roman d'une cuisinière" Marie NDiaye - éd Folio

"Toutes ses facultés d'aimer, de se donner, de souffrir, d'espérer, la cuisine s'en était emparée bien avant que je la rencontre, et le peu de ces ressources d'amour qui parvenait à se détourner de la cuisine allait à sa fille." Ainsi parle un ancien commis de cuisine qui raconte ici la vie et la carrière de la Cheffe, une cuisinière qui a connu une période de gloire, dont il a été longtemps l'assistant - et l'amoureux sans retour. Au centre du récit, la cuisine est vécu comme une aventure spirituelle. Non que le plaisir et le corps en soit absents, au contraire : ils sont les instruments d'un voyage vers l'au-delà, la Cheffe allant toujours plus loin dans sa quête de l'épure. Un personnage intense comme aime les créer M. Ndiaye.

 

 

"Illettré" Cécile Ladjali - éd Babel

Le beau et poignant roman de Cécile Ladjali est centré sur le combat de Léo contre son illettrisme, handicap invisible qui l’isole totalement. Léo ne peut pas « lire un courrier, lire les pancartes à l'usine ce qui lui éviterait de passer sous un rouleau compresseur, (..), faire ses courses sans acheter toujours la même chose (…), lire le nom des stations de métro, lire le nom des rues, (..)». Il tombe amoureux de Sybille, l’infirmière qui le soigne après un accident du travail, il voudrait lui déclarer son amour mais les mots - comme les lettres -restent bloqués, il est condamné au silence, à la solitude. Même si le style est parfois difficile, l’auteure nous livre une belle réflexion sur la dignité et l’estime de soi difficiles voire impossibles quand on souffre de ce handicap douloureux, qui souvent confine à la honte et qui est plus fréquent qu’on ne croit (2,5 millions de personnes en France). CG

 

"Le chagrin des vivants" Anna Hope - éd Folio

Pour ce premier roman à l’écriture très maitrisée, Anna Hope nous emmène à Londres pendant cinq jours du mois de novembre 1920. La capitale attend le retour du soldat inconnu, rapatrié des batailles du nord de la France, pour un hommage national. Au même moment à Paris, se déroulera la cérémonie à l’Arc de Triomphe. À Londres, trois femmes vont vivre ces cinq journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué, travaille au bureau des pensions de l'armée, Ada ne cesse d'apercevoir la silhouette de son fils pourtant tombé au front tandis qu’ Hettie, danseuse de compagnie le soir pour d’anciens soldats, doit supporter le désespoir de son frère, de retour du front. Loin d’être des privilégiées, ces trois héroïnes travaillent : petit à petit, se dessine donc le portrait de la société britannique, après la Première guerre mondiale. Très documenté, ce récit n’a cependant rien d’un exposé qui serait didactique. Le talent d’Anna Hope consiste en effet à faire vivre et parler ses personnages d’une façon si subtile et si contemporaine que le lecteur est d’emblée à leurs côtés et une fois le livre refermé, il ne les oublie pas. Ce premier roman est un coup de maître et on attendra avec impatience le second d’Anna Hope. M.D.

"M Train" Patty Smith - Folio

Patti Smith poursuit l'autobiographie commencée avec Just Kids et Glaneurs de rêves, elle nous entraîne autour du monde dans ses rêves, ses cafés et les tombes de ses héros. Sur celle de Jean Genêt elle dépose des pierres ramassées à Cayenne, pour Berthold Brecht elle chante la chanson de Mère Courage. A Mexico, elle s'assoupit sur le lit de Diego Riveira, photographie les robe de Frida Kahlo, boit le meilleur café du monde. Du café elle en boit beaucoup, au café Ino au village, au café Zoo à Berlin, dans l'hôtel londonien où elle regarde en boucle des séries TV. Cette icône du rock révèle une personnalité sensible et attachante, assez fantasque pour acheter un cabanon que l'ouragan détruira mais qu'elle reconstruira. Tout au long de ce récit empreint de poésie et d'humanité, Patti Smith confie son amour pour son mari Fred Smith. Cerise sur le gâteau, l'édition est superbe : beau papier, agréable typographie et surtout les touchantes photos de l'auteure. CG

"Les furies" Lauren Groff - Points Seuil

L’intrigue pourrait paraître banale, celle d’un couple de jeunes gens qui se marient trois jours après leur rencontre coup de foudre : Lotto, riche, brillant, idolâtré par sa mère et Mathilde, pauvre, sans famille, tous les deux extrêmement beaux, des archétypes. Lauren Groff en fait un roman puissant et haletant. Elle nous fait découvrir comment se sont fondées les personnalités de ces deux jeunes gens en creusant leurs passés. Comme l’indique le titre anglais, Fates and Furies, le roman est écrit en deux parties. La première est centrée sur Lotto, sa carrière de dramaturge, dont il doit le succès à Mathilde. Malgré la pauvreté, les échecs de Lotto, ses abus d’alcool, un environnement déjanté, les tentations multiples, le couple tient bon jusqu’à la mort de celui-ci. La personnalité de Mathilde reste secrète, intrigue. La deuxième partie, dans un suspens inattendu, permet de la découvrir et en fait le personnage clé. Passionnant.MM

"Mémoire de fille" Annie Ernaux - Folio

Que reste-t'il de la fille de 1958, celle que fut Annie Ernaux, agée de 18 ans, et qui s'appelait encore Annie Duchesne ? Les souvenirs qu'elle égrène méthodiquement semblent parfaitement intacts. L'auteur convoque les acteurs de l'époque, récréé les décors, relate les échanges et déclare cependant, que cet fin d'été 58 avait été oubliée, étouffée par le silence et enfouie dans sa mémoire. Un gouffre, une espèce de plaie mal refermée mais ignorée. Annie Ernaux convoque la fille de 1958 comme un autre elle-même, qui pourrait aussi ne pas être elle, tant elle a besoin de prendre de la distance pour mieux la cerner, la rencontrer et la connaître. C'est un récit construit sur le « elle » et le « je » qui permet au lecteur d'observer la vie en marche et de se projeter dans ce que ressent l'auteur, elle-même sujet du livre. Cette jeune fille gauche, exaltée, perdue, qui se retrouve loin de chez elle, en septembre 1958, libre de vivre hors du regard de ses proches et de se jeter à corps perdu dans la première expérience sexuelle de sa vie, n'a pas quitté la femme mûre qui écrit en 2016. Cette fille semble l'avoir obsédée toute sa vie, en apparaissant au détour de ses livres. L'auteur enquête, serre de très près son personnage, lui interdit toute fuite, lui demande des comptes et l'interroge sur ce qu'elle a vraiment vécu il y a 60 ans. Cet acharnement méticuleux cherche à toucher au plus près du vécu, sans omettre aucun état : le débordement, le ridicule, l'hystérie, le rêve amoureux, le dégoût de soi-même... et la honte dévastatrice d'être rejetée et humiliée par la collectivité dont elle souhaitait faire partie. Il s'agit de ne rien oublier, ne pas se laisser détourner par les images, de tester ces allers-retours entre passé et présent pour mesurer la portée de l'événement. Récit magistral et exigeant qui dissèque sans concession une expérience délicate.

"Le grand marin" Catherine Poulain - éd Points

Dans ce premier roman largement autobiographique, Lily, une petite femme à la voix fluette, éprise d’espace et de liberté, quitte la France pour partager la vie des pêcheurs de morue et de flétans dans les eaux glaciales au large de l’Alaska. Elle se bat quotidiennement pour se faire admettre par ces hommes au parcours chaotique et douloureux qui n’empêche pas la tendresse. Des phrases courtes, souvent poétiques, nous permettent d’être dans l’histoire. Avec Lily, on vit la tempête, le froid, l’humidité, les nuits sans sommeil et les étapes dangereuses et rudes de la pêche. On vit aussi l’inactivité au port, en attente d’un nouvel embarquement, la recherche d’un hébergement précaire et les moments partagés dans les bars avec les autres marins. Aucun pathos dans ce récit de l’extrême, mais de la tendresse et beaucoup de poésie. Un livre magnifique.SF/Club de lecture

"La cache" Christophe Boltanski - éd Folio

Que se passe-t'il quand un homme qui se pensait bien français doit se cacher des siens, chez lui, en plein Paris, dans un "entre-deux" comme un clandestin ? Nous sommes rue de Grenelle, durant l'occupation et le grand-père de C. Boltanski y a vécu à l'abri des regards durant de long mois. Ce qu'il reste de cette période traumatisante, c'est un appartement qui se dessine comme un plateau de cluedo, des objets anodins qui deviennent indices et ouvrent des portes dérobées, des traces, des habitudes qui perdurent. Cet appartement familial est le personnage principal de ce drôle de roman, il a façonné les êtres qui y restent attachés. C. Boltanski a eu besoin de sonder les murs et les recoins de cet appartement qui protégea sa famille mais l'emmura aussi en quelque sorte et de demander aux autres membres de la famille ce qu'il a signifié pour eux. 

"Il reste la poussière" Sandrine Colette - Livre de Poche

 

Un roman noir, très noir, sur lequel souffle un vent glacial et pénétrant. Une famille d'éleveurs, un domaine menacé en Patagonie. Une mère autoritaire dirige d'une poigne de fer l'exploitation qu'elle tente de maintenir à flot avec ses quatre fils. Le plus jeune, Raphaël, quasi mutique, écrasé par la violence de ses aînés, l'indifférence de sa mère, va desserrer l'étau qui l'enchaîne à cette famille. Récit magistralement mené, envoûtant et complètement prenant. Une grande découverte déjà partagée avec de nombreux lecteurs à la librairie.

 

"Un dernier verre au bar sans nom" Don Carpenter - éd 10/18

Fin des années 50, entre San Francisco et Portland, un groupe de jeunes écrivains rêvent d'écrire le livre de leur vie. Jaime, jeune étudiante en littérature, possède des facilités évidentes mais peine à trouver le sujet de son premier roman. Charlie, qui revient de la guerre de Corée, souhaite écrire le "Moby Dick" de la guerre, il a réuni plusieurs centaines de pages manuscrites mais n'arrive pas à trouver la forme et le style pour retranscrire son expérience. Le jeune couple, Jaime et Charlie, fait la connaissance d’autres jeunes écrivains en quête de gloire, comme le flamboyant Dick Dubonet, dont les nouvelles recueillent rapidement un vif succès ou encore Stan Winger, délinquant multirécidiviste qui fera plusieurs séjours en prison et qui va se découvrir un vrai talent pour l'écriture de romans policiers.

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Prochainement

Mercredi 28 février 

manouchian

Missak et Mélinée Manouchian, deux étrangers, arméniens et communistes, entrent au Panthéon le 21 février 2024. La valeur symbolique de cet événement est majeure. Deux orphelins du génocide des Arméniens devenus héros de la Résistance française. Denis Peschanski, historien et co-auteur du livre retracera avec vous ce parcours documentaire nourri d’archives dont de nombreux inédits.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

Mardi 12 mars 

Droits des femmes. Où en sommes-nous ?

tortureblanche

Une table ronde pour débattre et échanger avec Sophia Aram, Laure Daussy et Iris Farkhondeh. "Femmes, Vie, Liberté" sera l’étendard de cette soirée consacrée aux femmes et à leurs droits dans le monde. "Torture blanche" de Narges Mohammadi, prix nobel de la paix 2023, parait le 6 mars.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

Jeudi 25 avril 

 leconvoi

Rencontre avec Beata Umubyeyi Mairesse

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.Treize ans après, elle entre en contact avec l'équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie et l'Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Nourri de réflexions sur l'acte de témoigner et la valeur des traces, "Le convoi" offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

 

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