Nora ressemble à votre voisine du dessus, celle qui vous sourit chaleureusement dans l'escalier mais dont vous ignorez tout. Institutrice mi-teinte, tout semble harmonieux et lisse dans sa vie. Lorsqu'un jeune couple et leur fils s'installe dans l'immeuble et fait irruption dans son existence. Cette relation réveille des flots de sentiments contenus, refoulés qui feront basculés de façon inattendue le cours de l'histoire. Nous avançons à pas feutrés dans cette intrigue saisisssante. Claire Messud brise avec acidité l'image de la femme sans histoires, pour la révélant dans toute sa noirceur, grinçante, calculatrice, en colère et habitées d'espoirs fous et, inévitablement vains.
Ce livre m’a séduite par l’intérêt et la diversité des sujets traités, tous parfaitement documentés historiquement. Le récit très vivant nous fait partager la vie de la communauté juive dans les années 30 à La Havane et de ceux d’entre eux qui partiront finir leur vie et faire souche à Miami ; la vie des cubains (compatriotes de l’auteur), farniente, terrasses, palabres et…rhum. Toujours à Cuba, nous découvrons les bandes de jeunes marginaux qui se sont créés dans les années 2000, en particulier les « emos » dont la philosophie de vie est la dépression. Au milieu du livre nous remontons le temps pour vivre à Amsterdam en 1640/60, surnommée la nouvelle Jérusalem tant les juifs y vivaient sereinement. Nous y sommes aux côtés de Rembrandt, le Maître, et y suivons un jeune juif qui devient son élève, tourmenté par les interdits de sa religion en termes de représentation humaine et qui s’opposent à sa passion pour la peinture. Une intrigue savamment construite autour d’un tableau de Rembrandt, propriété d’une famille juive polonaise, qui disparait à Cuba en 1939 et réapparait en 2007 dans une salle de vente à Londres relie les trois parties de ce livre qui pourraient être lues indépendamment. Ceux qui font le choix de vivre libres ne risquent-ils pas d’être rejetés comme hérétiques, telle est une des nombreuses questions philosophiques proposées à notre réflexion. MM
« Aujourd’hui je me dis, en repensant à ce journal intime, que c’était surtout écrire qui m’intéressait. Ecrire m’obligeait à me dire la vérité…Je rêve de lumière avec toi, de grand jour, mais j’écris dans le noir. » p177. Essaouira 1963, Pauline Dubuisson rencontre Jean, il la demande en mariage. Mais Pauline a tué et a été tondue et violée après la guerre. Pauline écrit son journal intime, mais elle révélera avec quelques mots son histoire à Jean. Elle se délivrera de cette vérité si écrasante, avec la peur tenace de perdre ce nouvel amour. Comment dire ce qui nous oppresse en permanence ? Comment dire Sa vérité et enfin alléger la fatalité des événements ? Jean Luc Seigle incarne Pauline, l’emploi de la 1ère personne nous permet d’être au plus près de Pauline et de ressentir la terrible injustice d’une femme victime des hommes. Ce livre est fort, beau, dense, ce portrait remarquable reste inoubliable. VHS
Sa femme l'a quitté, il n'a pas d'amis : déprimé, accablé de solitude, Maxwell Sim en vient à accepter une proposition professionnelle saugrenue : la promotion d'une brosse à dents écologique. Au volant d'une voiture hybride, le voici qui file sur les routes d'Angleterre, et ce voyage de plus en plus aléatoire devient prétexte à revisiter son passé, soutenu par la voix angélique de son GPS, dont il tombe amoureux. Divinement caustique, ce roman de Jonathan Coe est l'odyssée d'un perdant, désespérément drôle jusqu'à la dernière page, où l'auteur se révèle un subtil manipulateur. Tout est magistralement orchestré pour nous faire saisir la complexité des choses simples, et l'étrangeté au coeur de l'ordinaire. La personnalité de Mr Sim, bien plus riche qu'il n'y paraît de prime abord, devient de plus en plus dense au fur et à mesure de notre voyage en compagnie de cet homme ordinaire, exerçant un métier ordinaire, dans une ville ordinaire. Surprenant, comme l'est le dernier chapitre de ce roman. Ce roman est le plus drôle et le plus désespéré de l'écrivain anglais Jonathan Coe. C'est une vaste réflexion sur l'imposture, les mensonges que l'on raconte et dont on se nourrit soi-même. Pour illustrer ce propos, l'histoire foisonne d'autres personnages qui tissent leurs illusions, que ce soient à des fins personnelles ou économiques. Le récit convoque l'histoire vraie de Donald Crowshurt, homme d'affaire passionné par la voile et qui s'engagea dans une course en solitaire à la fin des années soixante. Très vite, il dû renoncer, mais préféra mentir au monde entier, en laissant entendre qu'il était toujours dans la course. Fou de solitude et confronté à ce gigantesque mensonge, il ne survécu pas à son imposture. Maxwell Sim tourne autour de l'histoire de cet aventurier, il en devient l'incarnation des années 2010. Prostré chez lui entre deux assauts dépressifs, il égrène ce qui ne va pas dans sa vie, ses douloureuses relations avec son père, l'indifférence moqueuse de son ex-épouse, ses pâles ambitions professionnelles... Le ton est résolument sarcastique et très original. Il permet de décrire les ressorts d'une défaite personnelle très emblématique de notre époque.
Dans une fureur poétique, Taiye Selasi relate les espoirs puis les désillusions d'une famille africaine du Ghana et de Guinée, installée au États-Unis. Niveau social aisé, réussite professionnelle, amour, famille, jusqu'au jour où, suite à une injustice professionnelle, le père, avocat, contesté dans son intégrité, abandonnera femme et enfants, entraînant la famille dans le malheur en projettant une ombre définitive sur leurs vies. Analyse psychologique ciselée avec justesse sur les drames éprouvés par la famille éclatée, particulièrement par les jumeaux, frère et la sœur, malmenés dans une épreuve qui les tiendra séparés de longues années, chacun dans un profond mal être.
Le décès du Père revenu au Ghana, reformera la famille au pays et resserrera leurs liens distendus par les événements survenus lors de l’abandon du Père. Ce retour au Ghana favorisera le rapprochement dans leurs culture, la compréhension des différences d’ici et là bas. Très beau texte, abrupte et poétique, belles descriptions sur la violence des sentiments, confrontation des cultures. Les paysages sont décrits avec réalisme, noir et blanc pour les Etats Unis. Technicolors pour le Ghana. Bouleversant, plein d’espoir d’un futur à construire. Michèle L. / club de lecture/ sept. 2014
Le 15 mars 1954 paraît "Bonjour tristesse", c'est le premier roman d'une jeune fille de dix-huit ans Françoise Quoirez, dite Sagan. Elle devient riche, célèbre, noctambule, et légendaire. Romancière, Anne Berest se revêt "de la vie de Françoise pour oublier la sienne" et ajuste son exitence à celle de son aînée. Tout à la fois roman, biographie, autofiction, ce livre est un émouvant hommage à sagan.
C'est l'histoire de trois monstres du cinéma Anna Magnani, Ingrid Bergman et Roberto Rossellini.
Bergman vient de quitter Magnani pour Bergman, les deux femmes tournent sur deux îles voisines en Italie, Stromboli et Vulcano. Elles s'invectivent et souffrent à distance, Bergman manipule et ils font tous trois les choux gras de la presse à scandale. Le romancier recompose le puzzle de ses vies enchaînées par la passion. Ce récit se dévore comme une chronique émouvante d'une époque.
Né à Nice de parents algériens, Mourad voudrait se forger un destin. Son pire cauchemar : devenir le vieux garçon obèse aux cheveux poivre et sel, nourri à base d'huile de friture par sa mère. Pour éviter d'en arriver là, il lui faudra se défaire d'un héritage familial pesant. Ce récit plein d'humour et de tendresse dresse le portrait d'une famille déchirée par les choix contradictoires de chacun.
Faïza Guène s'est imposée, à partir de son premier roman, comme une des voix les plus originales de la littérature contemporaine. L'humour est partout présent dans ce livre, la mère veille aux traditions, omniprésente dans la vie de ses enfants, elle rassemble sa tribu autour d'abondants plats de nourriture. Elle n'hésite pas à se montrer tyrannique et excessive, quitte à étouffer ses enfants sous trop de bienveillance. Le père incarne le rôle du taiseux solitaire qui n'intervient qu'en cas de grande nécessité pour essayer de détramatiser les situations. Difficile de grandir pour les trois enfants issus de ce couple, la fille aînée quittera le foyer dans la rupture, la seconde fille se conformera aux voeux de sa mère et le fils aura bien de la peine à se frayer un chemin hors du nid. C'est une analyse très juste et très sensible qui relate le conflit des générations dans une famille immigrée algérienne aujourd'hui.
En huit nouvelles tragi-comiques qui se lisent comme un roman, Amos Oz scrute la vie au Kibboutz. A Yikhat comme ailleurs on se débat avec les chagrins, les frustartions, les injustices, les difficultés à vivre ensemble mais dans un kibboutz on n'est jamais seul... Le temps des fondateurs est loin désormais et les ambitions de chacun ne sont pas toujours en accord avec la communauté. Au Kibboutz comme ailleurs nul n'est parfait et Amos Oz pointe le doigt sur les limites d'un idéal commun.
Après sa tentative de suicide, durant l'été 60, Françoise Giroud écrivit "Histoire d'une femme libre" récit autobiographique, dont Alix de Saint-André a retrouvé le manuscrit qu'on croyait détruit.On y retrouve la voix d'une femme d'exception, complexe et lucide. Elle dresse le portrait des mondes et des hommes qu'elle a croisés.
H. Mingarelli est un auteur rare qui sous une apparente simplicité, avec une délicatesse et une sobriété extrêmes, évoque le poids des conflits qui écrasent les humains et ravagent les vies.
C'est un auteur qui n'écrit pas sur les conflits mais autour des conflits, sur l'intime des hommes touchés de près ou de loin par les guerres. Un style resséré, une écriture visuelle qui donnent à voir, par les gestes répétitifs du quotidien, les tensions et les affections qui minent en silence ces personnages.
Lire la suite : "La route de Beit Zera" Hubert Mingarelli - éd Point Seuil