"Ma reine" Jean-Baptsite Andrea - éd Folio

Jean-Baptiste Andrea célèbre l'enfance à travers la voix et la pensée d'un garçon de 12 ans qui souffre de troubles psychiques qui l'isolent et brouillent sa perception de la réalité. Depuis que son père lui a offert un blouson publicitaire de la marque Shell, il se fait appeler Shell. Il vit dans une vallée de haute-provence avec ses parents qui tiennent une station service. Quand il comprend qu'il sera bientôt placé dans un institut spécialisé, il fugue dans la montagne et va vivre tout un été, livré à lui même. Il rencontre Viviane, elle apparaît comme un enchantement sur son chemin. Elle devient une compagne de jeu qui impose ses règles avec détermination. Elle sera sa « Reine » et à ce titre, Shell ne pourra rien lui refuser et elle pourra tout lui demander. JB Andrea manie avec virtuosité les codes de la fable et du conte sans jamais tomber dans la mièvrerie. Shell est un héros lunaire et un adolescent subjugué par la beauté de la nature, les parfums du maquis, les métamorphoses de son jeune corps et les idées fantasques de sa Reine. Un roman exceptionnel qui laisse des images saisissantes.

"L'art de perdre" Alice Zeniter- éd J'ai lu

L'Algérie dont est originaire sa famille paternelle n'a longtemps été pour Naïma qu'une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par des questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui ne lui a jamais été racontée ? Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu'elle n'ait pu lui demander pourquoi l'Histoire avait fait de lui un "harki". Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être lui répondre mais pas dans une langue autre que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l'été 62 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l'Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ? Dans une fresque romanesque puissante et audacieuse, Alice Zeniter raconte le destin, entre la France et l'Algérie des générations successives d'une famille prisonnière d'un passé tenace. Mais ce livre est aussi un grand roman sur la liberté d'être soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes, sociales ou politiques. Cette vaste fresque historique, magistralement menée, nous plonge dans la tragédie que vécurent ceux que l'on appela les "harkis". Poursuivis comme traitres par le FLN, dépossédés de leurs terres, massacrés pour certains, ceux qui ont réussi à fuir en France, lors de l'indépendance de l'Algérie, se sont retrouvés parqués dans des camps de refugiés insalubres, pendant des années. Abandonnés par l'ancien pouvoir colonial qu'ils avaient servi, certains ont dû se demander s'ils avaient fait le bon choix. Ce questionnement s'invite tout au long de ce récit car nul ne sait ce qu'il adviendra quand des choix cruciaux s'imposent et nul ne peut imaginer les conséquences que représentent certaines décisions irrémédiables pour soi-même et les générations à venir.

"Article 353 du code pénal" Tanguy Viel - éd Minuit Double

Les 174 pages du récit se déroulent en huis-clos. Martial Kermeur a été arrêté et convoqué chez le juge à qui il va devoir expliquer pourquoi il a noyé Antoine Lazenec. Licencié des chantiers navals de l'arsenal de Brest, Kermeur pensait avoir fait le bon choix en confiant toutes ses économies à Lazenac, un promoteur immobilier sans vergogne. Homme plutôt passif, il a mis un certain temps à comprendre qu'il ne verrait jamais la résidence se construire. Kermeur raconte son histoire, s'interrompt lui-même pour prendre le temps de réfléchir, de regarder ce qui s'est joué. Plus sombre et plus grave que d'autres récits, on retrouve cependant cette touche grinçante, ironique et comique dans la manière de raconter.

 

"La Cheffe, roman d'une cuisinière" Marie NDiaye - éd Folio

"Toutes ses facultés d'aimer, de se donner, de souffrir, d'espérer, la cuisine s'en était emparée bien avant que je la rencontre, et le peu de ces ressources d'amour qui parvenait à se détourner de la cuisine allait à sa fille." Ainsi parle un ancien commis de cuisine qui raconte ici la vie et la carrière de la Cheffe, une cuisinière qui a connu une période de gloire, dont il a été longtemps l'assistant - et l'amoureux sans retour. Au centre du récit, la cuisine est vécu comme une aventure spirituelle. Non que le plaisir et le corps en soit absents, au contraire : ils sont les instruments d'un voyage vers l'au-delà, la Cheffe allant toujours plus loin dans sa quête de l'épure. Un personnage intense comme aime les créer M. Ndiaye.

 

 

"Illettré" Cécile Ladjali - éd Babel

Le beau et poignant roman de Cécile Ladjali est centré sur le combat de Léo contre son illettrisme, handicap invisible qui l’isole totalement. Léo ne peut pas « lire un courrier, lire les pancartes à l'usine ce qui lui éviterait de passer sous un rouleau compresseur, (..), faire ses courses sans acheter toujours la même chose (…), lire le nom des stations de métro, lire le nom des rues, (..)». Il tombe amoureux de Sybille, l’infirmière qui le soigne après un accident du travail, il voudrait lui déclarer son amour mais les mots - comme les lettres -restent bloqués, il est condamné au silence, à la solitude. Même si le style est parfois difficile, l’auteure nous livre une belle réflexion sur la dignité et l’estime de soi difficiles voire impossibles quand on souffre de ce handicap douloureux, qui souvent confine à la honte et qui est plus fréquent qu’on ne croit (2,5 millions de personnes en France). CG

 

"Le chagrin des vivants" Anna Hope - éd Folio

Pour ce premier roman à l’écriture très maitrisée, Anna Hope nous emmène à Londres pendant cinq jours du mois de novembre 1920. La capitale attend le retour du soldat inconnu, rapatrié des batailles du nord de la France, pour un hommage national. Au même moment à Paris, se déroulera la cérémonie à l’Arc de Triomphe. À Londres, trois femmes vont vivre ces cinq journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué, travaille au bureau des pensions de l'armée, Ada ne cesse d'apercevoir la silhouette de son fils pourtant tombé au front tandis qu’ Hettie, danseuse de compagnie le soir pour d’anciens soldats, doit supporter le désespoir de son frère, de retour du front. Loin d’être des privilégiées, ces trois héroïnes travaillent : petit à petit, se dessine donc le portrait de la société britannique, après la Première guerre mondiale. Très documenté, ce récit n’a cependant rien d’un exposé qui serait didactique. Le talent d’Anna Hope consiste en effet à faire vivre et parler ses personnages d’une façon si subtile et si contemporaine que le lecteur est d’emblée à leurs côtés et une fois le livre refermé, il ne les oublie pas. Ce premier roman est un coup de maître et on attendra avec impatience le second d’Anna Hope. M.D.

"M Train" Patty Smith - Folio

Patti Smith poursuit l'autobiographie commencée avec Just Kids et Glaneurs de rêves, elle nous entraîne autour du monde dans ses rêves, ses cafés et les tombes de ses héros. Sur celle de Jean Genêt elle dépose des pierres ramassées à Cayenne, pour Berthold Brecht elle chante la chanson de Mère Courage. A Mexico, elle s'assoupit sur le lit de Diego Riveira, photographie les robe de Frida Kahlo, boit le meilleur café du monde. Du café elle en boit beaucoup, au café Ino au village, au café Zoo à Berlin, dans l'hôtel londonien où elle regarde en boucle des séries TV. Cette icône du rock révèle une personnalité sensible et attachante, assez fantasque pour acheter un cabanon que l'ouragan détruira mais qu'elle reconstruira. Tout au long de ce récit empreint de poésie et d'humanité, Patti Smith confie son amour pour son mari Fred Smith. Cerise sur le gâteau, l'édition est superbe : beau papier, agréable typographie et surtout les touchantes photos de l'auteure. CG

"Les furies" Lauren Groff - Points Seuil

L’intrigue pourrait paraître banale, celle d’un couple de jeunes gens qui se marient trois jours après leur rencontre coup de foudre : Lotto, riche, brillant, idolâtré par sa mère et Mathilde, pauvre, sans famille, tous les deux extrêmement beaux, des archétypes. Lauren Groff en fait un roman puissant et haletant. Elle nous fait découvrir comment se sont fondées les personnalités de ces deux jeunes gens en creusant leurs passés. Comme l’indique le titre anglais, Fates and Furies, le roman est écrit en deux parties. La première est centrée sur Lotto, sa carrière de dramaturge, dont il doit le succès à Mathilde. Malgré la pauvreté, les échecs de Lotto, ses abus d’alcool, un environnement déjanté, les tentations multiples, le couple tient bon jusqu’à la mort de celui-ci. La personnalité de Mathilde reste secrète, intrigue. La deuxième partie, dans un suspens inattendu, permet de la découvrir et en fait le personnage clé. Passionnant.MM

"Mémoire de fille" Annie Ernaux - Folio

Que reste-t'il de la fille de 1958, celle que fut Annie Ernaux, agée de 18 ans, et qui s'appelait encore Annie Duchesne ? Les souvenirs qu'elle égrène méthodiquement semblent parfaitement intacts. L'auteur convoque les acteurs de l'époque, récréé les décors, relate les échanges et déclare cependant, que cet fin d'été 58 avait été oubliée, étouffée par le silence et enfouie dans sa mémoire. Un gouffre, une espèce de plaie mal refermée mais ignorée. Annie Ernaux convoque la fille de 1958 comme un autre elle-même, qui pourrait aussi ne pas être elle, tant elle a besoin de prendre de la distance pour mieux la cerner, la rencontrer et la connaître. C'est un récit construit sur le « elle » et le « je » qui permet au lecteur d'observer la vie en marche et de se projeter dans ce que ressent l'auteur, elle-même sujet du livre. Cette jeune fille gauche, exaltée, perdue, qui se retrouve loin de chez elle, en septembre 1958, libre de vivre hors du regard de ses proches et de se jeter à corps perdu dans la première expérience sexuelle de sa vie, n'a pas quitté la femme mûre qui écrit en 2016. Cette fille semble l'avoir obsédée toute sa vie, en apparaissant au détour de ses livres. L'auteur enquête, serre de très près son personnage, lui interdit toute fuite, lui demande des comptes et l'interroge sur ce qu'elle a vraiment vécu il y a 60 ans. Cet acharnement méticuleux cherche à toucher au plus près du vécu, sans omettre aucun état : le débordement, le ridicule, l'hystérie, le rêve amoureux, le dégoût de soi-même... et la honte dévastatrice d'être rejetée et humiliée par la collectivité dont elle souhaitait faire partie. Il s'agit de ne rien oublier, ne pas se laisser détourner par les images, de tester ces allers-retours entre passé et présent pour mesurer la portée de l'événement. Récit magistral et exigeant qui dissèque sans concession une expérience délicate.

"Le grand marin" Catherine Poulain - éd Points

Dans ce premier roman largement autobiographique, Lily, une petite femme à la voix fluette, éprise d’espace et de liberté, quitte la France pour partager la vie des pêcheurs de morue et de flétans dans les eaux glaciales au large de l’Alaska. Elle se bat quotidiennement pour se faire admettre par ces hommes au parcours chaotique et douloureux qui n’empêche pas la tendresse. Des phrases courtes, souvent poétiques, nous permettent d’être dans l’histoire. Avec Lily, on vit la tempête, le froid, l’humidité, les nuits sans sommeil et les étapes dangereuses et rudes de la pêche. On vit aussi l’inactivité au port, en attente d’un nouvel embarquement, la recherche d’un hébergement précaire et les moments partagés dans les bars avec les autres marins. Aucun pathos dans ce récit de l’extrême, mais de la tendresse et beaucoup de poésie. Un livre magnifique.SF/Club de lecture

"La cache" Christophe Boltanski - éd Folio

Que se passe-t'il quand un homme qui se pensait bien français doit se cacher des siens, chez lui, en plein Paris, dans un "entre-deux" comme un clandestin ? Nous sommes rue de Grenelle, durant l'occupation et le grand-père de C. Boltanski y a vécu à l'abri des regards durant de long mois. Ce qu'il reste de cette période traumatisante, c'est un appartement qui se dessine comme un plateau de cluedo, des objets anodins qui deviennent indices et ouvrent des portes dérobées, des traces, des habitudes qui perdurent. Cet appartement familial est le personnage principal de ce drôle de roman, il a façonné les êtres qui y restent attachés. C. Boltanski a eu besoin de sonder les murs et les recoins de cet appartement qui protégea sa famille mais l'emmura aussi en quelque sorte et de demander aux autres membres de la famille ce qu'il a signifié pour eux. 

Prochainement

Samedi 17 et dimanche 18 juin - Festival du livre - Un week-end littéraire dans les librairies de votre arrondissement.

La librairie d'Odessa vous invite à rencontrer : 

 Samedi 17 juin

Entre 11h et 13 h : Emmanuel Villin dédicacera trois romans et des récits destinés au jeune public.

Entre 16h et 18 h : Sibylle Vincendon présentera et dédicacera "Trois Alexandrines".

Dimanche 18 juin 

Entre 11h et 13h : Caroline Anssens dédicacera "Des cailloux bleus plein les dents".

Entre 14h et 18 h : Valérie Simmonet présentera "Passagère du temps. Paris pour ailleurs" son premier livre de photos. Exposition de plusieurs clichés.

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