De retour dans la forêt des Landes suite à l'incarcération de son frère aîné, rattrapé par ses souvenirs d'enfance, harcelé par les SMS & SOS du détenu, bouleversé par l'agonie du père, cerné par les huissiers, Alexandre Labruffe, auteur et narrateur, oscille entre stupeur et parano, non-dits et délires. Parti depuis plus de quinze ans en Asie où il était attaché culturel à l'Alliance française en Chine et en Corée, il ne se doutait pas qu'il devrait revenir en urgence au chevet d'une famille dont il avait pris soin de s'éloigner. Le retour dans les Landes, retour au source du dysfonctionnement familial, le met dos au mur, même s'il résiste à comprendre ce qui s'est joué dans son enfance. Nous l'avions découvert dans deux très courts récits détonants « Chronique d'une station service » et « Un hiver à Wuhan » où il excellait dans la narration brève, incisive et comique. Dans ce récit intime, paranoïaque, burlesque et décapant, il pratique une forme d'autodérision noire qui n'épargne aucun de ces personnages, il brises le miroir, parle à ses fantômes et se confronte à son histoire sans pathos et avec énormément d'humour.
Christine Angot entame ce nouveau récit de l’inceste par la première rencontre avec son père qui se déroule à Strasbourg. L’écriture est minutieuse, précise presque clinique comme une enquête policière car elle compte sur la géographie des lieux, les détails des intérieurs, pour lui redonner la mémoire de ce qui s’est dit et accompli. Elle a treize ans la première fois qu’elle rencontre ce père qui ne l’a pas reconnue et qui n’a jamais cherché à la rencontrer. Il a fondé une nouvelle famille, elle vit seule avec sa mère. Elle se retrouve presque immédiatement face à un homme qui ne considère, ni son jeune âge, ni leurs liens de filiation comme un obstacle à la réalisation de ses désirs sexuels. Le récit est cru, direct, nous sommes avec eux dans les chambres où il lui donne rendez-vous, elle décrit avec nettement le piège qui se referme sur elle alors qu’elle implore des rapports normaux de père à fille, obsédée par la peur de lui déplaire et de le perdre une nouvelle fois. Elle cherche les mots qui disent le mieux ce qu’elle ressentait à cette époque, elle cherche à nommer ce qui a pu se diluer avec le temps, la réalité de ce présent là qu’elle a cherché à enfouir sans succès, elle le scrute dans l’écriture afin de refaire exister ce qui a été. Le lecteur sera donc le témoin, celui qui entend, regarde les mécanismes de la séduction et de la manipulation à l’œuvre. Trop tard pour s’offusquer du silence, du consentement de ceux qui savaient et qui ne l’ont pas aidée à se sauver. Sinistre banalité que l’on retrouve dans tous les récits récents abordant les relations non consenties entre adultes et mineur(e)s.
Dans ce récit très personnel, Marc Dugain retrace le destin de son père, cet homme du XXème siècle à qui il doit beaucoup, en dépit de la difficulté de trouver sa place de fils à ses côtés, mais dont l’inépuisable volonté n’a cessé de l’inspirer. Ce récit poignant commence dans les couloirs d’un service de soins palliatifs quelques jours avant son décès, l’auteur est alors âgé d’une trentaine d’années, mais ce récit a seulement pris corps l’année dernière, sur les côtes bretonnes, à l’heure des confinements. C’est aussi en Bretagne que débute l’histoire de ce père, né entre terre et mer, sur un sol trop pauvre pour nourrir la famille et les récits de campagnes de pêche en Islande. C’est aussi vers le large que se tournent les ambitions de ce très jeune homme dans les années quarante. Il voit toutefois ses rêves s’envoler quand il contracte la poliomyélite et perd l’usage de ses deux jambes. Brillant élève et d’une puissance morale et physique hors du commun, il déjouera tous les pronostics, subira de multiples opérations et retrouvera son autonomie. Sa détermination en étonnera plus d’ un, et c’est accompagné d’une femme de la même trempe qu’il partira conduire des missions scientifiques en Nouvelle Calédonie et en Afrique. Au Sénégal notamment où naquit l’auteur. Avec l’histoire de sa famille, Marc Dugain raconte l’histoire sociale et politique des trente glorieuses, le culte du progrès, des sciences, la fin de l’empire colonial, les premiers essais nucléaires … et aussi l’essoufflement idéologique d’une nation .
L’écrivain milanais retrouve ses territoires de prédilection, la montagne de haute altitude et ceux qui l’habitent, humains et animaux. Fausto la quarantaine, décide comme le narrateur des « Huit montagnes » de quitter Milan dans l’espoir de recommencer une nouvelle vie sur les versants qu’il découvrit enfant avec son père, les villages d’altitude et les sommets dépassant les 3000. Il devient saisonnier dans un restaurant à Fontana Fredda, petite station de ski condamnée à court terme par le faible niveau d’enneigement. Ce point de départ narratif devient le centre du récit où se croisent différents personnages qui nous parlent, en de courts chapitres, de la vie dans ces lieux demeurés très ruraux et très sauvages mais dans lesquels converge aussi tout un tourisme international amoureux d’alpinisme et de sommets. Une réflexion sur les paysages, le goût de l’aventure, les choix qui donnent un nouveau sens à l’existence. Des sujets chers à cet auteur d’une singulière sensibilité qui décrit la vie dans ces montagnes que l’on soit, éleveur, bûcheron, guide de haute montagne ou saisonnier dans un refuge d’altitude.
Syrie. Un vieil homme rame à bord d'une barque, seul au milieu d'une immense étendue d'eau. En dessous de lui, sa maison d'enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973. Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d'un masque et d'un tuba, il plonge – et c'est sa vie entière qu'il revoit, ses enfants au temps où ils n'étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie russe Maïakovski, Akhmatova, la prison, son premier amour, sa soif de liberté. Cette plongée métaphorique dans son passé, ravive les souvenirs de son enfance, l'histoire de son pays meurtri et dévasté par la dynastie Assad, père et fils. Les espoirs vite réprimés par le régime du boucher de Damas, "l'ophtalmologue aux yeux fous de requin". Les trois enfants de Mahmoud Elmachi ont rejoint les rangs des premières contestations pacifiques, avant qu'elle se transforment en rébellion armée suite à la répression brutale du régime. Mahmoud n'a pas de nouvelles depuis longtemps, lui même a connu la prison pour des écrits qui ne convenaient pas aux attentes du régime. Il erre au bord du lac, tel un fantôme désespéré de se retrouver encore là parmi quelques survivants. C'est un texte absolument magnifique, d'une délicatesse infini pour dire l'indicible. C'est un long poème en prose qui épouse l'histoire intime d'un homme et celle de son pays. Des annotations en fin de livre permettent de préciser la chronologie de certains événements.
C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent, et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes. Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d'hommes en devenir.
Les terres ingrates du Nebraska, glacées en hiver, caniculaires en été, soumises à de violentes tempêtes. Des voix féminines y résonnent et s'entremêlent, défiant le temps perdu tout autant que l'avenir. Il y a Cora, qui épouse un fermier au début du XXe siècle. Il y a Madge, leur fille, et Sharon Rose, élevées comme des sœurs. Madge qui devient une femme de la campagne dure à la tâche, désireuse de se marier. Et Sharon Rose qui part étudier à Chicago, observant de loin la vie de la famille et de la ferme qui continue sans elle. C'est l'époque où arrivent le téléphone, le réfrigérateur et la télévision, la modernité. C'est l'époque où le monde, leur monde, change. Paru en 1980, Chant des plaines n'avait jamais été traduit dans notre langue. Les lecteurs français pourront dorénavant découvrir l'écriture éblouissante de Wright Morris, capable d'embrasser l'immensité des paysages comme l'intimité sensible de ces femmes fortes.
Il y a quelques années, le romancier Ian McEwan entend parler d'un homme aussi mystérieux que fascinant, Andrew Szepessy, vivant en ermite près de la frontière transsylvanienne. Ancien journaliste et scénariste en Angleterre puis en Norvège, il a fait un an de prison en Hongrie dans les années 60, sans connaître la raison de son incarcération. De cette expérience , il a tiré un roman en partie autobiographique. Après enquête, McEwan parvient à mettre la main sur le texte, Aux éternels perdants. Ebloui par sa puissance littéraire et par sa résonnance avec notre époque, il décide de le proposer à un éditeur anglais, Penguin, qui le fera paraître à l'automne 2020. Ce texte immerge le lecteur dans l'expérience carcérale, mêlant réalisme et onirisme à la manière de Bernard Malamud dans L'Homme de Kiev.
Un pays non nommé se relève avec peine d'une sombre décennie de guerre civile. Afin de commémorer l'armistice tant attendu, le gouvernement ordonne la construction d'une route reliant le Sud dévasté à la capitale du Nord victorieux. Deux entrepreneurs étrangers ont pour mission de goudronner en quelques jours ce chemin long de plusieurs kilomètres, après quoi sera organisée une grande parade où les gens du Sud se rendront au Nord en empruntant cette nouvelle voie. Mais la cohabitation entre ces deux hommes que tout oppose ne sera pas simple, et la nouvelle alliance entre les deux parties de la nation semble trop belle pour être vraie. Avec La parade, Dave Eggers questionne brillamment la valeur des tentatives de reconstruction par ceux-là mêmes qui sont à l'origine du carnage, et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page.
À vingt-cinq ans, après une séparation non souhaitée et un séjour en prison, Aymeric, le narrateur, essaie de reprendre contact avec le monde extérieur. À l'occasion d'un concert, il retrouve Florence avec qui il a travaillé quelques années plus tôt. Florence est plus âgée, elle a maintenant quarante ans. Elle est enceinte de six mois et célibataire. Jim va naître. Aymeric assiste à la naissance de l'enfant, et durant les premières années de sa vie, il s'investit auprès de lui comme s'il était son père. D'ailleurs, Jim lui-même pense être le fils d'Aymeric. Ils vivent tous les trois dans un climat harmonieux, en pleine nature, entre vastes combes et forêts d'épicéas. Jusqu'au jour où Christophe, le père biologique du garçon, réapparaît.
Un jour d'été 1596, dans la campagne anglaise, une petite fille tombe gravement malade. Son frère jumeau, Hamnet, part chercher de l'aide car aucun de leurs parents n'est à la maison... Agnes, leur mère, n'est pourtant pas loin, en train de cueillir des herbes médicinales dans les champs alentour ; leur père est à Londres pour son travail ; tous deux inconscients de cette maladie, de cette ombre qui plane sur leur famille et menace de tout engloutir. Porté par une écriture d'une beauté inouïe, ce nouveau roman de Maggie O'Farrell est la bouleversante histoire d'un frère et d'une sœur unis par un lien indéfectible, celle d'un couple atypique marqué par un deuil impossible. C'est aussi l'histoire d'une maladie " pestilentielle " qui se diffuse sur tout le continent. Mais c'est avant tout une magnifique histoire d'amour et le tendre portrait d'un petit garçon oublié par l'Histoire, qui inspira pourtant à son père, William Shakespeare, sa pièce la plus célèbre.