En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ? Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda… D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.
Depuis la mort de sa femme, Theo Byrne, un astrobiologiste, élève seul Robin, leur enfant de neuf ans. Attachant et sensible, le jeune garçon se passionne pour les animaux qu’il peut dessiner des heures durant. Mais il est aussi sujet à des crises de rage qui laissent son père démuni. Pour l’apaiser, ce dernier l’emmène camper dans la nature ou visiter le cosmos. Chaque soir, père et fils explorent ensemble une exoplanète et tentent de percer le mystère de l’origine de la vie. Le retour à la “réalité” est souvent brutal. Quand Robin est exclu de l’école à la suite d’une nouvelle crise, son père est mis en demeure de le faire soigner. Au mal-être et à la singularité de l’enfant, les médecins ne répondent que par la médication. Refusant cette option, Theo se tourne vers un neurologue conduisant une thérapie expérimentale digne d’un roman de science-fiction. Par le biais de l’intelligence artificielle, Robin va s’entraîner à développer son empathie et à contrôler ses émotions.
Après quelques séances, les résultats sont stupéfiants. Mettant en scène un père et son fils dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, Richard Powers signe un roman magistral, brillant d’intelligence et d’une rare force émotionnelle, questionnant notre place dans l’univers et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant.
Mobylette est un roman déjanté et cruellement drôle qui dresse le portrait décapant d'un trentenaire à la dérive dans un univers qui ne l'est pas moins. Tour à tour désopilante, survoltée et hilarante, impossible de résister à cette aventure à mille à l'heure entre les Vosges et la Moselle. À quinze ans, Dominique se voyait déjà promener ses presque deux mètres à travers la campagne vosgienne sur une Peugeot 103 orange. Il a fait beaucoup d'efforts pour l'avoir à Noël et en finir ainsi avec la série des Noël pourris. Il y a cru, il a été très déçu. La déception est d'ailleurs une constante dans la vie familiale chaotique de Dom. La déception entre autres choses. De là à en déduire que la suite des événements en découle, il n'y a qu'un pas. Quelques pas pour être précis. Educateur spécialisé en foyer pour ados, il excelle cependant en tenter de réparer ces vies abîmés ou au moins à donner sans compter au mépris des contraintes légales. Sa vie de jeune père n'est guère épanouissante, pas plus que sa vie maritale plutôt en berne. Une séance de ciné qui vire au pugilat. Une baignade mouvementée. Des retrouvailles du troisième type dans les bois. Et deux sœurs aussi féroces qu'attachantes. Accrochez-vous. C'est un roman qui déménage mais qui attache et attrape le lecteur dès les premières lignes.
Laure, prof d’Université, est mariée et mère de deux filles. De Véra, l’aînée, qui organise des mouvements d’insurrection au lycée, Laure envie l’incandescence et la rage. Elle qui, à 40 ans, regrette parfois d’être la somme de la patience et des compromis. Clément, célibataire, 50 ans, court le matin et parle à son chien le soir. Entre les deux il s’ennuie dans la finance, au sommet d’une tour vitrée, lassé de la vue qu’elle offre presque autant que de YouPorn. Laure monte sans passion des colloques en Histoire contemporaine. Clément anticipe les mouvements des marchés, déplorant que les crises n’arrivent jamais vraiment, que le pire ne soit qu’une promesse perpétuellement reconduite. De la vie, l’une attend la surprise. L’autre, toute capacité d’illusion anéantie, attend qu’elle finisse, fatigué d’être un homme dans un monde où seules les tours de la Défense sont légitimement phalliques. Bref, il serait bon que leur arrive quelque chose. Ils vont être l’un pour l’autre un choc nécessaire. Saisis par la passion et ses menaces, ils tentent d’abord de se débarrasser l’un de l’autre en assouvissant le désir, naïvement convaincus qu’il se dompte. Nourrissant malgré eux un espoir qui les effraie et les consume, ils iront loin dans l’incendie. Dans l’ombre, quelque chose les surveille : la jeunesse sans nuance et sans pitié de Véra. Au gré d’un roman sur la passion, Feu photographie une époque. Où les hommes ne sachant plus quelle représentation d’eux-mêmes habiter, pourraient renoncer. Où les femmes pourraient ne pas se remettre de l’incessant combat qu’elles doivent mener pour être mieux aimées. Où les enfants, nés débiteurs, s’organisent déjà pour ne pas rembourser. Alternant les points de vue des deux personnages dans une langue nerveuse et acérée, Maria Pourchet nous offre un roman vif, puissant et drôle sur l’amour, cette affaire effroyablement plus sérieuse et plus dangereuse qu’on ne le croit.
Dans une vallée d’altitude, pendant l’été 2056, une sirène sonne, réactivant une peur ancienne. Au-dessus du village, dans le ventre du glacier, une poche d’eau sous pression menace de se rompre. Peu de temps auparavant, Clémence, disparue depuis des années, a appelé sa soeur jumelle, Lucie, pour lui demander de la cacher dans la grange familiale isolée qu’elle habite, juste en dessous du glacier. "Hors gel", c’est le roman de ces deux peurs : la peur ancestrale et collective de la catastrophe que pourrait provoquer la rupture du glacier, et la peur plus intime, familiale, de Lucie vis-à-vis de sa soeur jumelle, Clémence, revenue après trois décennies de disparition, dans l’espoir, dit-elle, d’échapper à un réseau de prostitution et de trafiquants de drogue, dont on n’est pas sûr qu’il existe réellement. La peur de la lave torrentielle s’appuie sur le souvenir d’une catastrophe qui, il y a plus de 150 ans, avait ravagé la vallée. La peur de la soeur est aussi ancrée depuis longtemps dans la mémoire profonde de Lucie qui n’a de cesse d’essayer de comprendre cette soeur qui la malmène et l’obsède. L’extrême sensibilité de Clémence a fait d’elle une enfant, puis une femme « invivable ». Elle est violente, toxicomane, délinquante, fugueuse, asociale, psychotique. Leur mère joue aussi un rôle dans cette histoire. Sénile, elle est là sans être là, et a, semble-t-il, oublié qu’elle a une deuxième fille, née quelques heures après la première, et qu’elle a tout tenté pour essayer d’endiguer sa violence et sa souffrance. En vain. Clémence n’a qu’une idée en tête, alors : se sauver au risque de devoir affronter le cataclysme. Hors gel est un roman de légère anticipation, au coeur d’un drame familial déchirant, et dans un pays soumis à une stricte écologie politique, où la nature, après des années de consommation pendant lesquelles elle est devenue un produit, est désormais déifiée, ultra-protégée, et en apparence contrôlée. En apparence seulement.
Le blizzard fait rage dans le Grand Nord en Alaska. Au coeur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n'aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l'enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde. Au fil des heures passées à tâtonner dans le blizzard, dans cette course folle contre la montre pour tenter de retrouver le petit, se dévoile peu à peu la vérité de chacun des personnages. Et c'est paradoxalement dans la tempête, la neige et le brouillard, que le passé des uns et des autres refait surface. Comment Benedict s'est-il retrouvé à accueillir cet enfant de dix ans qui n'est pas le sien ? Qui est Bess, quelles souffrances cache-t-elle ? Connait-on vraiment Cole, ce vieil ami de la famille depuis deux générations, qui noie ses démons dans l'alcool ? Et le vieux Freeman, vétéran du Vietnam, qu'est-il venu chercher dans ce bout du monde battu par des vents glacés ? Rythmé comme un thriller, "Blizzard" creuse avec sensibilité l'histoire intime de ses personnages, leurs secrets, leurs douleurs. Dans une construction chorale, la romancière alterne en chapitres courts les voix intérieures des différents protagonistes, décrivant la violence des sentiments qui les traversent, à la hauteur des éléments qui se déchaînent. L'écriture, fluide, orale, "à l'américaine", colle parfaitement à l'esprit et à l'atmosphère de ces grands espaces, cette terre rude où dans des communautés humaines à l'écart de tout, se cristallisent en profondeur les drames tus du passé. Avec ce huis-clos des grands espaces, Marie Vingtras fait une première rentrée littéraire remarquée, et remarquable.
A quoi ressemble une vie ? C'est avec une simplicité désarmante et de nombreux pas de côté qu'Agnès Desarthe tente de répondre à cette question. Elle explore les premiers territoires de l'enfance, quand l'univers connu s'arrête aux portes de l'appartement, que la confrontation avec l'extérieur n'a pas encore eu lieu, et que tout ce qui se vit au foyer semble naturellement établi. Arrivent ensuite les appels d'air de l'adolescence, les regards plus critiques sur l'ordre des choses vues, et tout à coup la déflagration, la mère si discrète, si effacée quitte le foyer pour rejoindre l'homme qu'elle aime, oubliant presque ceux avec qui elle avait vécu auparavant. La narratrice, elle n'a pas voulu répondre à la première déclaration d'amour que lui fit, à quatre ans, un camarade de classe. Le regrette-t'elle ? Comprend-elle tardivement ce qui lui a échappé ? Elle restera cependant toute sa vie attentive à ce premier amoureux, cet éternel fiancé qui réapparaîtra à peu près tous les dix ans et la renverra inconsciemment à ce qu'elle n'avait pas voulu saisir, ce cadeau précoce de la vie. Le roman se construit sur ce fil conducteur qui n'est pas forcément empreint de regret ou de nostalgie mais qui permet de mettre en présence au sein d'une même famille et d'un cercle proche les événements par lesquels se construisent nos vies et que l'écriture permet de tracer. Un récit vibrant animé d'une extraordinaire vitalité alternant chutes et rebonds, effondrements et triomphes, mélancolie et exaltation. Le style si singulier de cette auteure dont le regard et la sensibilité nous enchantent.
De retour dans la forêt des Landes suite à l'incarcération de son frère aîné, rattrapé par ses souvenirs d'enfance, harcelé par les SMS & SOS du détenu, bouleversé par l'agonie du père, cerné par les huissiers, Alexandre Labruffe, auteur et narrateur, oscille entre stupeur et parano, non-dits et délires. Parti depuis plus de quinze ans en Asie où il était attaché culturel à l'Alliance française en Chine et en Corée, il ne se doutait pas qu'il devrait revenir en urgence au chevet d'une famille dont il avait pris soin de s'éloigner. Le retour dans les Landes, retour au source du dysfonctionnement familial, le met dos au mur, même s'il résiste à comprendre ce qui s'est joué dans son enfance. Nous l'avions découvert dans deux très courts récits détonants « Chronique d'une station service » et « Un hiver à Wuhan » où il excellait dans la narration brève, incisive et comique. Dans ce récit intime, paranoïaque, burlesque et décapant, il pratique une forme d'autodérision noire qui n'épargne aucun de ces personnages, il brises le miroir, parle à ses fantômes et se confronte à son histoire sans pathos et avec énormément d'humour.
Christine Angot entame ce nouveau récit de l’inceste par la première rencontre avec son père qui se déroule à Strasbourg. L’écriture est minutieuse, précise presque clinique comme une enquête policière car elle compte sur la géographie des lieux, les détails des intérieurs, pour lui redonner la mémoire de ce qui s’est dit et accompli. Elle a treize ans la première fois qu’elle rencontre ce père qui ne l’a pas reconnue et qui n’a jamais cherché à la rencontrer. Il a fondé une nouvelle famille, elle vit seule avec sa mère. Elle se retrouve presque immédiatement face à un homme qui ne considère, ni son jeune âge, ni leurs liens de filiation comme un obstacle à la réalisation de ses désirs sexuels. Le récit est cru, direct, nous sommes avec eux dans les chambres où il lui donne rendez-vous, elle décrit avec nettement le piège qui se referme sur elle alors qu’elle implore des rapports normaux de père à fille, obsédée par la peur de lui déplaire et de le perdre une nouvelle fois. Elle cherche les mots qui disent le mieux ce qu’elle ressentait à cette époque, elle cherche à nommer ce qui a pu se diluer avec le temps, la réalité de ce présent là qu’elle a cherché à enfouir sans succès, elle le scrute dans l’écriture afin de refaire exister ce qui a été. Le lecteur sera donc le témoin, celui qui entend, regarde les mécanismes de la séduction et de la manipulation à l’œuvre. Trop tard pour s’offusquer du silence, du consentement de ceux qui savaient et qui ne l’ont pas aidée à se sauver. Sinistre banalité que l’on retrouve dans tous les récits récents abordant les relations non consenties entre adultes et mineur(e)s.
Dans ce récit très personnel, Marc Dugain retrace le destin de son père, cet homme du XXème siècle à qui il doit beaucoup, en dépit de la difficulté de trouver sa place de fils à ses côtés, mais dont l’inépuisable volonté n’a cessé de l’inspirer. Ce récit poignant commence dans les couloirs d’un service de soins palliatifs quelques jours avant son décès, l’auteur est alors âgé d’une trentaine d’années, mais ce récit a seulement pris corps l’année dernière, sur les côtes bretonnes, à l’heure des confinements. C’est aussi en Bretagne que débute l’histoire de ce père, né entre terre et mer, sur un sol trop pauvre pour nourrir la famille et les récits de campagnes de pêche en Islande. C’est aussi vers le large que se tournent les ambitions de ce très jeune homme dans les années quarante. Il voit toutefois ses rêves s’envoler quand il contracte la poliomyélite et perd l’usage de ses deux jambes. Brillant élève et d’une puissance morale et physique hors du commun, il déjouera tous les pronostics, subira de multiples opérations et retrouvera son autonomie. Sa détermination en étonnera plus d’ un, et c’est accompagné d’une femme de la même trempe qu’il partira conduire des missions scientifiques en Nouvelle Calédonie et en Afrique. Au Sénégal notamment où naquit l’auteur. Avec l’histoire de sa famille, Marc Dugain raconte l’histoire sociale et politique des trente glorieuses, le culte du progrès, des sciences, la fin de l’empire colonial, les premiers essais nucléaires … et aussi l’essoufflement idéologique d’une nation .
L’écrivain milanais retrouve ses territoires de prédilection, la montagne de haute altitude et ceux qui l’habitent, humains et animaux. Fausto la quarantaine, décide comme le narrateur des « Huit montagnes » de quitter Milan dans l’espoir de recommencer une nouvelle vie sur les versants qu’il découvrit enfant avec son père, les villages d’altitude et les sommets dépassant les 3000. Il devient saisonnier dans un restaurant à Fontana Fredda, petite station de ski condamnée à court terme par le faible niveau d’enneigement. Ce point de départ narratif devient le centre du récit où se croisent différents personnages qui nous parlent, en de courts chapitres, de la vie dans ces lieux demeurés très ruraux et très sauvages mais dans lesquels converge aussi tout un tourisme international amoureux d’alpinisme et de sommets. Une réflexion sur les paysages, le goût de l’aventure, les choix qui donnent un nouveau sens à l’existence. Des sujets chers à cet auteur d’une singulière sensibilité qui décrit la vie dans ces montagnes que l’on soit, éleveur, bûcheron, guide de haute montagne ou saisonnier dans un refuge d’altitude.