"La vengeance m'appartient" Marie NDiaye - éd Gallimard

Quand un client survient pour lui confier une affaire dont rêveraient tous ses confrères de Bordeaux, Maître Suzanne vacille. Elle croit reconnaître cet homme qui vient la solliciter pour la défense de son épouse. Le réel du quotidien apparemment maîtrisé se dérobe, son regard change. Ses parents si aimants le sont-il réellement ? Que cache la femme qu'elle emploie chez elle ? Tout déraille sans grand fracas  vers une lente épouvante où toutes les peurs tapies dans l'ombre de l'histoire familiale et collective se réveillent. Marie NDiaye consolide ici son territoire romanesque. Ce roman s'impose comme l'un des plus intéressants de la rentrée. 

 

 

"Serge" Yasmina Reza - éd Flammarion

Yasmina Reza signe avec "Serge" une chronique familiale aigre douce, dans laquelle elle scrute les liens qui unissent les êtres à l'âge adulte. Au décès de leur mère, Jean (le narrateur), Serge et Anne décident de se rendre à Auschwitz. Voyage mémoriel, effectué sans grande conviction, déambulations entre perches de selfies, pavillons bondés, effets spéciaux douteux. La crise éclate, les personnages dérapent se renvoyant, dans une scène mémorable, leurs ressentiments réciproques. Une fois encore, la clairvoyance sans concession de Yasmina Reza fait mouche.

 

 

 

"Thésée, sa vie nouvelle" Camille de Toledo - éd Verdier

En 2012, Thésée quitte "la ville de l'Ouest" et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d'archives, laisse tout en vrac et s'embarque dans le dernier train de nuit vers l'Est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s'effondre psychiquement et physiquement dès son arrivée à Berlin. Il n'arrive plus à contraindre son corps à le porter, et c'est son corps qui le contraint à l'immobilisme. Thésée s'obstine. Il refuse, en moderne (celui qui maîtrise sa vie et ses émotions), l'enquête à laquelle son corps le confronte. Il s'invective, se reproche de se laisser aller à des solutions faciles ou à des idées préconçues. Il répète qu'il est issu d'une famille où les hommes meurent, plus précisément se donnent la mort. C'est un chant de douleur qui s'impose et revient comme le fil conducteur de cette enigme familiale qu'il lui faudra résoudre pour envisager l'avenir. Cette enquête passionnante dans l'histoire familiale est agrémentée de photos dans lesquelles le narrateur traque les mensonges ou une éventuelle révélation. Au delà des qualités littéraires de ce texte rare, la composition ciselée et exigeante de cette recherche, met en lumière les mécanismes psychiques qui président au pouvoir occultant de ce que l'on appel le déni mais aussi et surtout, il explique toute la difficulté à voir clair dans les histoires qui nous ont précédés et qui entravent parfois encore le présent.

"Un jour ce sera vide" Hugo Lindenberg - éd C. Bourgois

C'est un été en Normandie. Le narrateur est encore dans cet état de l'enfance où tout se vit intensément, où l'on ne sait pas très bien qui l'on est, où une invasion de fourmis équivaut à la déclaration d'une guerre qu'il faudra mener de toutes ses forces. Un jour, il rencontre un autre garçon sur la plage, Baptiste. Se noue entre eux une amitié d'autant plus forte qu'elle se fonde sur un déséquilibre : Baptiste a des parents parfaits, habite dans une maison parfaite. Sa famille est l'image d'un bonheur que le narrateur cherche partout, mais qui se refuse à lui. Flanqué d'une grand-mère à l'accent prononcé, et d'une tante "monstrueuse", notre narrateur rêve, imagine, se raconte des histoires, tente de surpasser la honte sociale et familiale qui le saisit face à son nouvel ami. Il entre dans une zone trouble où le sentiment d'appartenance est ambigu : vers où va, finalement, sa loyauté ? Ecrit dans une langue ciselée et très sensible, Un jour ce sera vide est un roman fait de silences et de scènes lumineuses qu'on quitte avec la mélancolie des fins de vacances. Hugo Lindenberg y explore les sentiments, bons comme mauvais, qui traversent toute famille, et le poids des traumatismes de l'Histoire.

"Histoire du fils" Marie-Hélène Lafon - éd Buchet Chastel

Un siècle, trois lieux, une affaire de famille, racontés en 170 pages, entre Figeac, Aurillac et Paris. Marie-Hélène Lafon que nous suivons avec passion depuis "L'annonce", "Les derniers indiens"... nous offre, livre après livre, une plongée dans l'intime de femmes et d'hommes issus du monde rural. Son oeuvre se nourrit d'un espace géographique, celui du berceau de sa famille. Son écriture est charnelle, elle entretient avec les mots un rapport physique et recherche avec eux l'expression qui s'imposera pour parler au plus près des sentiments et  des émotions de ceux dont on parle peu en littérature, ceux que l'on nomment souvent les taiseux. Avec "L'histoire du fils" Marie-Hélène Lafon s'aventure dans une histoire familiale qui se déploie sur un siècle et démarre sur une scène inaugurale qui s'impose comme un mouvement de caméra. Ces images vont s'imprimer dans la mémoire du lecteur et imposer cet ancrage nécessaire à la construction d'une histoire oubliée, cachée et exhumée. Elle dit les corps qui aiment et souffrent, la solitude d'un enfant et d'une femme qui attend. Elle narre une poignée de vies sur trois générations et parvient à raconter la France et ses métamorphoses. Elle raconte aussi le destin des hommes qui resteront des enfants et des fils.

"La petite dernière" Fatima Daas - éd Notabilia

"Je m'appelle Fatima Daas. Je suis la mazoziya, la petite dernière. Celle à laquelle on ne s'est pas préparé. Française d'origine algérienne. Musulmane pratiquante. Clichoise qui passe plus de trois heures par jour dans les transports. Une touriste. Une banlieusarde qui observe les comportements parisiens. Je suis une menteuse, une pécheresse. Adolescente, je suis une élève instable. Adulte, je suis hyper-inadaptée. J'écris des histoires pour éviter de vivre la mienne. J'ai fait quatre ans de thérapie. C'est ma plus longue relation. L'amour, c'était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi. Je me croyais polyamoureuse. Lorsque Nina a débarqué dans ma vie, je ne savais plus du tout ce dont j'avais besoin et ce qu'il me manquait. Je m'appelle Fatima Daas. Je ne sais pas si je porte bien mon prénom". Croyante et lesbienne, la narratrice évolue dans ce déchirement qui la fait suffoquer mais dans laquelle elle veut malgré tout apprendre à vivre. Un atelier d'écriture, conduit par Laurent Mauvignier, lui donne le courage de mettre en mots ces interrogations. Fatima Daas livre un texte magifiquement construit qui se déploie dans une langue fortement rythmé aux accents durassiens. Un texte qui donne voix et corps à l'intime.

"Trencadis" Caroline Deyns - éd Quidam

A la manière d'un puzzle, ce récit inclassable rassemble les multiples facettes de l'artiste Niki de Saint Phalle. Elle hait l'arête, la ligne droite, la symétrie. A l'inverse, l'ondulation, la courbe, le rond ont le pouvoir de déliter la moindre de ses tensions. Délayer les amertumes, délier les pliures : un langage architectural qui parlerait la langue des berceuses. Aussi vit-elle sa visite au parc Güell comme une véritable épiphanie. Tout ici la transporte, des vagues pierrées à leur miroitement singulier. Trencadis est le mot qu'elle retient : une mosaïque d'éclats de céramique et de verre : de la vieille vaisselle cassée recyclée. Si je comprends bien, se dit-elle, le trencadis est un cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction. Concasser l'unique pour épanouir le composite. Broyer le figé pour enfanter le mouvement. Briser le quotidien pour inventer le féérique. L'auteur de ce sublime portrait tente de recoller les morceaux d'une personnalité brisée mais jamais anéantie. Elle déploie avec une prodigieuse inventivité toute une panoplie de voix imaginaires mêlées à des extraits d'archives qui donnent à entendre celle de Niki de Saint Phalle.

"Chavirer" Lola lafon - éd Actes Sud

Entre corps érotisé et corps souffrant, magie de la scène et coulisses des douleurs, "Chavirer" raconte l’histoire de Cléo, jeune collégienne rêvant de devenir danseuse, tour à tour sexuellement piégée par une pseudo fondation de la vocation, puis complice de ses stratégies de “recrutement”. Trente ans plus tard, alors qu’elle-même a fait carrière – des plateaux et coulisses de Champs-Elysées à la scène d’une prestigieuse “revue” parisienne –  l’affaire ressurgit. Sous le signe des impossibles pardons, le personnage de Cléo se diffracte et se recompose à l’envi, au fil des époques et des évocations de celles et ceux qui l‘ont côtoyée, aimée, déçue ou rejetée.

 

 

"Retour à Martha's Vineyard" Richard Russo - éd Quai Voltaire

Le 1er décembre 1969, Teddy, Lincoln et Mickey, étudiants boursiers dans une fac huppée de la côte Est, voient leur destin se jouer en direct à la télévision alors qu'ils assistent, comme des millions d'Américains, au tirage au sort qui déterminera l'ordre d'appel au service militaire de la guerre du Vietnam. Un an et demi plus tard, diplôme en poche, ils passent un dernier week-end ensemble à Martha's Vineyard, dans la maison de vacances de Lincoln, en compagnie de Jacy, le quatrième mousquetaire, l'amie dont ils sont tous les trois fous amoureux. Septembre 2015. Lincoln s'apprête à vendre la maison, et les trois amis se retrouvent à nouveau sur l'île. A bord du ferry déjà, les souvenirs affluent dans la mémoire de Lincoln, le "beau gosse" devenu agent immobilier et père de famille, dans celle de Teddy, éditeur universitaire toujours en proie à ses crises d'angoisse, et dans celle de Mickey, la forte tête, rockeur invétéré qui débarque sur sa Harley. Parmi ces souvenirs, celui de Jacy, mystérieusement disparue après leur week-end de 1971. Qu'est-il advenu d'elle ? Qui était-elle réellement ? Lequel d'entre eux avait sa préférence ? Les trois sexagénaires, sirotant des bloody-mary sur la terrasse où, à l'époque, ils buvaient de la bière en écoutant Creedence, rouvrent l'enquête qui n'avait pas abouti alors, faute d'éléments. Et ne peuvent s'empêcher de se demander si tout n'était pas joué d'avance.

"Ce que je ne veux pas savoir" - "Le coût de la vie" Deborah Levy - éd du sous-sol

Deux petits livres qui constitient les deux premiers volets d'un projet autobiographique inclassable. C'est une oeuvre littéraire d'une clarté éblouisssante et d'un profond secours. Deborah Levy revient sur ce territoire qu'il faut conquérir pour écrire et dépeint la littérature comme une opération à coeur ouvert. Féministe et inspirante, elle bouscule et interroge le poids social de la maternité et du mariage, en somme, le coût de la vie. Esprit original et fantasque qui n'hésite pas à se mettre en scène afin de nous inviter dans son processus de réflexion, en nous retournant involontairement ses propres interrogations.

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"Un hiver à Wuhan" Alexandre Labruffe - éd Verticales

«Poussé par un prof de chinois, j’ai tout quitté, du jour au lendemain, pour aller contrôler, fleur au fusil, la qualité des produits français fabriqués en Chine. Être l’œil de l’Occident, son chien de garde, le garant du Made in China : comme un aboutissement prématuré de ma vie.» Ce récit fragmenté concilie un regard documentaire affuté et l’humour désespéré d’un conte voltairien. Alexandre Labruffe y alterne les souvenirs de ses séjours sur place : de 1996, comme contrôleur stagiaire dans des usines locales, à l’automne 2019, en tant qu’attaché culturel à Wuhan. Il recense les micro-apocalypses qui fondent le miracle économique de la République populaire depuis deux décennies et devient le témoin halluciné d’une crise sanitaire révélant sa nature libérale-totalitaire. 

 

 

 

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