"Quelle n'est pas ma joie" Jens Christian Grondahl - éd Gallimard

Auteur né en 1959, à la tête d'une dizaines de romans . Cet écrivain danois est le plus envoûtant de sa génération. Ses sujets : l'intime, le couple, l'amour, l'éloignement. La solitude. La solitude existentielle. Le premier chapitre s'ouvre sur une scène au cimetière qui introduit ses personnages. Ellinor, âgée de 70 ans vient de refermer la tombe de son mari Georg. Elle s'adresse à la défunte de la tombe d'à côté qui est Anna, la première femme de Georg et qui fut une grande amie de la narratrice. Anna est morte à 30 ans dans les années 70 dans un accident de montagne, elle fut emportée par une avalanche avec Henning le mari de Ellinor. On comprend en quelques mots que Ellinor a remplacé Anna auprès de Georg, qu'elle a élevé leurs deux enfants, deux jumeaux âgés de 7 ans lors de la mort accidentelle de leur mère. Grondahl fait parler son héroïne comme les idées lui viennent, elle tente de s'expliquer ce qu'elle ne comprend pas, elle est la dernière survivante du quatuor, elle va pouvoir dire ce qu'elle n'a jamais pu dire, formuler des pensées qu'elle ne s'est jamais autorisée.

 

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"Faire mouche" Vincent Almendros - éd de Minuit

 

L'expression « faire mouche », choisie comme titre à ce court récit, prend ici un tout autre sens que celui de « viser juste ». Les personnages de Vincent Almendros sont cadenassés par une histoire familiale qui réduit ses membres au silence. Comme les mouches engluées dans du papier adhésif, ils se regardent gesticuler dans leur inutile combat. Laurent retourne à Saint-Fourneau, le village de son enfance, pour le mariage d'une cousine. Il demande à une amie, Claire, de se faire passer pour Constance, sa compagne. On imagine que le couple bat de l'aile et que Laurent ne souhaite pas en parler. Mais pourquoi a-t'il élaboré un scenario aussi risqué ? Pourquoi mentir à cette famille, mère, oncle, cousine dont il ne semble pas se préoccuper le reste du temps ? C'est justement là le nœud de cette comédie diabolique car Laurent comme les autres ne sait que mentir. Comme si les efforts déployés à bâtir sur du faux étaient finalement plus rassurants. Comme les mouches qui ne peuvent plus s'extraire de la mélasse ou elles sont engluées, la famille en décomposition continue à se mentir sans raison apparente. Chacun semble le gardien de son propre temple, gouffre des exactions, des hontes, des chagrins et des mauvais souvenirs. Le lecteur, à son tour, se sent pris au piège, témoin passif devant une succession d'images figées et mortifères. Il attend le dérapage et retient son souffle jusqu'aux dernières pages. Un roman intense et ambiguë, extrêmement habile qui se lit en apnée.

"La communauté" Ariane Chemin - Raphaëlle Bacqué - éd A. Michel

Trappes : 60 ans d'histoire de France. Soixante ans de la vie d 'une banlieue qui concentre les fractures de notre pays et donne des clés pour mieux les comprendre. Construit comme un roman choral dont on suit les personnages de bout en bout, cette enquête se lit comme on regarderait une série télévisée avec une myriade de stars : Jamel Debouze, Omar Sy, Nicolas Anelka, Sophia Aram ou le rappeur La Fouine. Il ne manque pas d'études pour évoquer la vie concentrationnaire de cette banlieue ghetto, sa naissance dans les années 50, l'intégration des deuxième et troisième générations d'habitants, la construction des barres HLM, le début du chômage, le trafic de hash puis de l'héroïne, le départ des classes moyennes, l'arrivée des grands frères religieux et la dérive islamiste puis djiadiste. Trappes concentre tout cela, A. Chemin et R. Bacqué ont réussi à rassembler tous ces faits en une fresque digne d'une saga psychosociologique.

"Des jours sans fin" Sebastian Barry - éd J. Losfeld

 

Pour certains hommes, la vie est une succession de combats. Thomas McNutly a quitté l'Irlande, où la Grande Famine a décimé sa famille. Il traverse l'Atlantique, il est âgé de 12 ans et doit se débrouiller pour survivre. Sa rencontre avec John Cole, tout juste plus âgé que lui, sera déterminante. Tour à tour, ils seront danseurs de saloons, chasseurs de bisons et d'indiens dans les grandes plaines de l'ouest, soldats du côté de l'Union en pleine guerre de sécession. Ce récit plein de cris, de fureur et de violence parle des corps, livrés à la faim, au froid ou à la terreur et de ces moments de grâce qui donnent parfois l'impression que le jour sera sans fin : l'éclat d'un rire, un paysage, le rythme d'un galop... et l'amour indéfectible que se porte ces deux hommes. Récit d'une âpre beauté qui interroge sur ce paradis américain obtenu au prix des massacres . Thomas et John sont des héros ordinaires qui n'élèveront pas la voix, ils serrent les dents, exécutent les ordres et tentent de préserver, dans ce marasme, leur part d'humanité. Une écriture épurée, un récit à la première personne dans lequel Thomas décrit la société américaine de 1850 dans sa quotidienneté, il s'agit pour lui de trouver un toit, rester debout, éviter les coups et tenter de comprendre ce monde. Un récit puissant. 

"Les guerres de mon père" Colombe Schneck - éd Stock

 

Mort en 1990, à 58 ans, Gilbert Schneck a laissé derrière lui une fille qui a longtemps cru que son père reviendrait, que jamais personne ne pourrait l’aimer autant que lui. Cette jeune femme est devenue écrivain, désobéissant à l’injonction paternelle de ne pas parler de ce qui fâche. 25 ans après son décès, Colombe veut comprendre qui était cet homme. Les guerres de ce père, ce sont celles qu’il a connues dès l’enfance, il fut un enfant juif, caché en Dordogne, il fut jeune médecin en Algérie, témoin de tortures et de viols commis dans les rangs de l'armée française. Gilbert est encore adolescent quand son père Max Schneck est assassiné, un crime crapuleux qui fait la une des quotidiens à scandale, et jette l'opprobe sur la famille (c'est aussi le sujet d'un précédent livre de l'auteur en 2006 « L'increvable Mr Schneck »). Toute sa vie fut une perpétuelle tension pour que le passé ne refasse pas surface, il offrait à son entourage, un sourire radieux, il voulait que ses enfants se construisent de beaux souvenirs.

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"Le Figurant" Didier Blonde - éd Gallimard

Amoureux de Paris et du cinéma des années 60, ce livre est pour vous.

A 19 ans, le narrateur croise Truffaut, rue Caulaincourt, sur le tournage de « Baisers volés », il se mêle à la troupe des figurants et rencontre Judith. Il découvre avec elle ce métier et ceux qui le pratiquent occasionnellement ou assidûment. 45 ans après, le narrateur retourne à la cinémathèque assister à un hommage rendu à Truffaut. Il se replonge dans les images du film, tente d'identifier les silhouettes et se lance dans une enquête qui se recentre sur Judith, disparue soudainement et sur ceux qu'il avait rencontrés à l'époque. C'est à la fois une enquête sur la géographie des lieux, Paris 18ème, le cimetière Montmartre....le souvenir que l'on a conservé et ce qu'il est advenu des années après. C'est une traque obstinée à travers les images, les rushs et les fameux « photogrammes » qu'il scrute, relit, dissèque, et qui lui permettent de reconstituer les scènes du film et ce qu'il imagine avoir vécu.

 

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"L'amour après" Marceline Loridan-Ivens - éd Grasset

Comment aimer, s'abandonner, désirer, quand on a été déporté à quinze ans ? Comment regarder son corps quand il a été mis à nu sous l'autorité d'un capo ? Comment se construire au retour des camps ? Marceline Loridan-Ivens est une personnalité hors du commun, débordante de vie, d'énergie, elle fut pour les hommes qui la croisèrent une étoile filante, indomptable. Mais qu'en est-il réellement au delà des apparences ? Marceline Loridan-Ivens juxtapose le passé et le présent, elle invite d'anciens compagnons de vie à se joindre à son récit afin que ne figure pas seulement sa version de ce qui fut. « Je suis une fille de Birkenau et vous ne m'aurez pas ». Elle n'a pas échappé à la mort pour vivre à demi. Le temps perdu, elle veut en saisir chaque seconde, étudier, lire, se jeter dans les bras des hommes, les aimer, les laisser quand ils deviennent trop pesants. Elle n'est pas revenu pour que l'on décide pour elle. Cette liberté retrouvée, elle veut en jouir pleinement et sans conditions.

 

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"Les loyautés" Delphine De Vigan - éd Lattès

Les loyautés, ce sont : « Ces liens invisibles qui nous attachent aux autres ... ». « Ce sont les lois de l'enfance qui sommeillent à l'intérieur de nos corps ». C'est un bien commun que nous partageons tous. Ces quelques lignes figurent en préambule avant le début de l'histoire. Théo et Mathis se sont rencontrés au collège, ils ont uni leur solitude et forment un duo impénétrable. Rien ne semble échapper à la vigilance de Théo qui a appris à cacher la réalité de son quotidien familial, parents séparés et père à la dérive. Il n'a que 12 ans et consomme en cachette de fortes doses d'alcools, il teste ses limites, découvre l'ivresse et des états qui le soulagent de ses angoisses. C'est un adolescent en fuite, au bord de l'abîme et qui appelle au secours. Hélène, professeur de SVT perçoit, sans l'identifier, la détresse de Théo, elle sait sans savoir, elle possède la prescience de ceux qui ont connu des situations similaires. Delphine De Vigan décrit avec précision les mécanismes de reconnaissance qui se mettent en action quand le présent entre en résonance avec le passé : «  ce quelque chose dans sa silhouette, sa façon de se tenir, de se soustraire au regard des autres... ».

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"Tiens ferme ta couronne" Yannick Haenel - éd Gallimard

Le roman commence par la phrase «A cette époque j'étais fou». Le narrateur donne le ton, il vit depuis plusieurs mois reclus dans un studio parisien, relit Mobydick et se passe en boucle «Voyage au bout de l'enfer» et « Apocalypse now». Il flirte avec des états limites qui le laissent parfois sans prise sur les événements.  Auteur de plusieurs romans, il a écrit un scenario de 700 pages sur l'écrivain Herman Melville. Aucun producteur ne veut financer ce projet qui a l'ambition de nous dévoiler l'esprit du créateur de «Mobydick». Un seul cinéaste serait à ses yeux capable de réaliser ce projet, Michael Cimino. Ce dernier a disparu des radars depuis l'échec commercial de « La porte du paradis». Qu'à cela ne  tienne, notre narrateur part à sa recherche et obtient une entrevue avec lui à New York. Il passera aussi une soirée chez Bofinger, avec Isabelle Huppert, qui travailla avec M. Cimino pour ce dernier film maudit. Le roman enchaîne des scènes aussi improbables que burlesques et le narrateur ne s'économise pas une seconde dans ses multiples aventures. C'est un récit fascinant qui se permet des écarts insensés sans pour autant perdre le fil d'une quête obsessionnelle: retrouver la trace de la beauté et de la pureté même dans des contextes d'extrême violence, comme ses maîtres, le narrateur se demande comment  «rester disponible aux manifestations fragiles de la beauté pour se sauver de l'horreur ». Yannick Haenel nous offre un roman exceptionnel, très ambitieux et particulièrement réussi.

"L'homme de l'hiver" Peter Geye - éd Actes Sud

Gunflint années 90 dans le Minnesota. Une petite ville dans une nature sauvage où les rivières deviennent des lacs, et l'Amérique le Canada. Le vieux Harry Eide déserte son lit de mort et fugue. On ne le retrouvera pas. Les deux êtres qui l'ont le plus aimé, Gus son fils et Berit sa dernière compagne se racontent cet homme qui gouverna leur monde tout en lui échappant. Deux coeurs en hiver terrassés par le deuil mais désireux de savoir qui était cet homme. Regard du fils et regard de l'amante. Depuis que Harry a disparu, il se retrouve souvent autour d'un café, circonspects émus, inquiets, leurs conversations convergent toujours vers l'escapade de l'année 1963 où Harry embarqua son fils, alors  âgé de 17 ans, dans une excursion en canoë qu'il voulait digne des anciens pionniers. Une folie, un besoin absolu de transmission qui faillit leur coûter la vie. Pour le fils Gus, devenu père à son tour, cet hivernage forcé est demeuré une énigme. Ce roman est aussi le roman d'une famille, des Eide. Un roman d'aventure intérieure, placé sous le règne implacable de la nature, souple, silencieux, comme la trace du Kayak sur l'eau.

"L'ombre sur la lune" Agnès Mathieu-Daudé - éd Gallimard

Un conte de brutes, de manipulations, de meurtres, d'hystéries, de rencontres et d'amour. Du burlesque, de l'ubuesque dans ce récit échevelé et complètement loufoque. Un ravissement. Attilio est un un Sicilien, fils d'une grande famille de la mafia, réfugié depuis 20 ans en Espagne après avoir assassiné sa femme le jour de leurs noces. Un crime d'honneur que les familles n'ont pas pardonné. Blanche travaille dans un musée français et accompagne à l'occasion les œuvres prêtées pour des expositions à l'étranger. Elle part pour Madrid, superviser l'accrochage d'un tableau deGoya. La mafia chinoise, tout le monde le sait, s'infiltre désormais partout. Elle se cache ici sous les trait de la Giganta qui va demander à Attilio de reprendre du service et de récupérer un tableau en séduisant la candide conservatrice française dans les tribunes d'un stade de foot. Scenario ambitieux mais parfaitement maîtrisé. Agnès Mathieu-Daudé nous avait déjà offert avec «Un marin chilien   » un roman épique et audacieux. Elle nous embarque de nouveau, sans craindre les écarts dans une aventure tout autant fabuleuse que délicieuse. Quel talent de conteuse et quelle imagination !

Prochainement

 

Jeudi 25 avril 

 leconvoi

Rencontre avec Beata Umubyeyi Mairesse

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.Treize ans après, elle entre en contact avec l'équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l'Italie et l'Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Nourri de réflexions sur l'acte de témoigner et la valeur des traces, "Le convoi" offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Lieu : 19h, Bibliothèque Benoîte Groult. Réservation conseillée

 

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