Anthony a 14 ans, nous sommes en 1994, à Hayange en Moselle. Fils unique, il passe ses vacances avec un cousin un peu plus âgé, qu'il suit partout. Ils traînent au bord du lac, draguent les vacancières des camping, retrouvent les copains du collège et durant cette période de l'année, il semble plus facile de nouer d'autres liens. Les clivages sociaux se réduisent, les corps se dénudent, les adolescents se retrouvent hors les murs et des histoires peuvent parfois exister. Pour Anthony, ce n'est pas facile, timide, peu aguerri aux jeux de la séduction, il fantasme beaucoup sur Steph, une camarade de classe qu'il souhaite approcher mais qui résiste à ses avances. Ce roman se déroule sur quatre étés, jusqu'à la victoire des bleus en 1998, un événement national qui fit vibrer à l'unisson l'espoir d'une France unie, loin des clivages sociaux et raciaux, un rêve éphémère. Comme dans son précédent roman « Aux animaux la guerre », publié dans la collection Actes noirs en 2014, il y a de nombreux personnages. Traités avec beaucoup d'attention et de profondeur, ils s'invitent dans le récit autour du héros principal, et mêlent différents points de vue. Cette construction permet de décrire des situations de vie différentes en fonction des origines sociales, des histoires familiales et de donner une représentation très précise de la vie dans une région sinistrée par la fermeture des hauts fourneaux. Le père d'Antony y travaillait, son père avant lui, ils appartenaient à ces générations ouvrières fières de leur savoir et de leur métier. Déclassé il survit en menant une activité de jardinier, un métier qui le nourrit mais qui ne lui apporte guère de satisfaction et de fierté personnelle. Violent, imprévisible, ses colères sont redoutées de son fils et sa femme Hélène. Avec ce livre Nicolas Mathieu écrit le roman d'une vallée, d'une adolescence, d'une époque avec sa bande son, ses images TV. C'est le récit politique d'une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. C'est la France des villes moyennes, des zones pavillonnaires, des ZAC bétonnées, et de la cambrousse. La France où vit toujours 60% de la population française, des régions éloignées des comptoirs de la mondialisation, en plein déclin, que les jeunes rêvent de quitter et où sévit la petite et la grande délinquance. Un roman noir et pessimiste mais qui dit aussi que s'il est difficile, parfois impossible, d'échapper au déterminisme social et géographique, on a toujours la liberté d'essayer de changer le cours de sa vie. Un récit captivant, tendu et d'une tenue très impressionnante.