Maître de l'ellipse, de la césure brutale, Djian persiste dans un style à couper au couteau. Phrases brèves, récit factuel, quelques interruptions qui laissent le lecteur en suspens et l'oblige à imaginer ce qui a pu se passer, avant de reprendre le cours du récit quelques jours plus loin, mais finalement on s'en sort et cela fonctionne. Ambiance polar américain, truffé de machos, de bars de nuit et de covergirls. Tableau parfait avec flics peu regardants, règlements de compte vite expédiés. La beauté de ce court roman émerge au fil des pages et tient à la rencontre imprévue d'une sœur et d'un frère, après le décès de leurs parents. Activistes libertaires, plus concernés par leurs luttes que par leur famille, ils avaient laissé partir sans la retenir leur fille aînée. Elle revient dans la maison de son enfance s'occuper de son jeune frère qui souffre de troubles psychiques. Alors que ce dernier devait être un fardeau pour elle, après quelques ajustements, il va se révéler être une source d'émerveillement et lui permettre un ancrage qu'elle n'avait pas connu. Cette rencontre progressive, narrée avec délicatesse et humour laisse une émotion grandissante s'emparer du récit. Le lecteur pourrait espérer respirer, quitter la tension permanente produite par la violence sous-jacente des personnages qui les entourent, le répit sera bref, l'impitoyable noirceur de Djian reprendra le dessus.